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Assemblée générale 2005

Paul Demont, président

Chers amis,

L'année qui vient de s'écouler a été, une fois de plus, riche en événements. Elle a été marquée notamment par un remaniement ministériel qui a conduit M. François Fillon à la tête de l'Education nationale. Je ferai successivement le point sur les langues anciennes, puis sur l'enseignement du français, avant de présenter brièvement certaines de nos actions de soutien dans différents domaines.

Nous saluons d'abord avec satisfaction plusieurs mesures très positives en faveur des langues anciennes, et je dois dire ici qu'elles doivent beaucoup, ce qui n'étonnera personne, à l'influence et l'autorité de notre Présidente, Jacqueline de Romilly. Un projet de réforme du recrutement des professeurs de lettres du second degré, qui aurait été ruineux, a été abandonné ; le nombre des postes proposés aux concours de recrutement a non seulement cessé de baisser, mais il a même quelque peu remonté. Le Ministre a inscrit dans ses priorités l'accroissement des effectifs de langues anciennes et a pris une mesure importante dans ce sens, par l'arrêté du 9 décembre 2004 modifiant l'arrêté du 15 septembre 1993 sur le baccalauréat, applicable pour la session de 2006. Le premier article supprime l'épreuve des TPE (Travaux Pratiques Encadrés, bref travail de recherche sous la direction du professeur), épreuve dont la facilité et la notation concurrencent dangereusement les options facultatives, et dont les dérives ont suscité des critiques justifiées. Le second article porte de 2 à 3 le coefficient de l'option "lorsque l'option choisie est soit le latin soit le grec ancien", ce qui constitue un encouragement spectaculaire à choisir les langues anciennes. La langue ancienne pourra aussi être validée plus tôt dans la scolarité, dans le cadre du brevet des collèges. Un concours national est organisé, et l'Inspection générale prépare un affichage plus lisible des nombreux concours locaux. Du côté des enseignants, l'Inspection générale a organisé à l'automne des journées de rencontre entre des professeurs de langues anciennes dynamiques, qui devraient déboucher sur une réorientation des perspectives pédagogiques et un nouvel élan. Du point de vue administratif, une circulaire sur la continuité de l'enseignement du collège au lycée a aussi été envoyée aux Recteurs d'académies.

Tous ces éléments devraient contribuer à améliorer une situation qui reste souvent préoccupante, et, de fait, ils semblent d'ores et déjà produire des résultats, par exemple dans une académie jusqu'ici sinistrée comme celle de Strasbourg. L'an dernier, on comptait en France pas moins de 533 000 latinistes, dont 471 000 au collège, et 62 000 au lycée, et 32 000 hellénistes, dont 18 000 au collège et 14 000 au lycée. À la rentrée 2004, selon les chiffres d'une association de professeurs de langues anciennes, la CNARELA, la situation n'a pas bougé en latin, et il y a une nouvelle petite progression en grec. Nos préoccupations, qui demeurent, tiennent aux difficultés bien connues des finances publiques de notre pays, qui conduisent à des mesures d'économie drastiques, dont évidemment les enseignements optionnels en général sont souvent les premières victimes. Pour lutter contre les suppressions d'options et également, car cela arrive, pour obtenir l'ouverture d'options, il est de plus en plus indispensable d'agir là où se prennent les décisions, localement, notamment en intervenant dans les conseils d'administration pour que les langues anciennes soient mentionnées dans les "projets d'établissement". Nous appelons aussi de nos vœux une mesure générale simple : que l'on se donne comme objectif national d'avoir dans chaque collège un professeur capable d'enseigner les langues anciennes. Enfin, nous réitérons avec force notre souhait que dans toutes les classes préparatoires littéraires, en première année après le baccalauréat, soit instituée une initiation obligatoire à la culture antique et aux langues anciennes, qui serait évidemment profitable aussi bien aux futurs spécialistes de la littérature qu'aux étudiants d'histoire, de philosophie, de sciences humaines et sociales, et de langues vivantes ; ceci renforcerait le vivier des étudiants de latin et de grec. La mesure est prête, dans l'état actuel elle ne coûte rien, elle peut s'appliquer dès la rentrée prochaine, il suffit de la décider.

Au-delà de ces éléments factuels, qui sont ou seront bien sûr la base concrète absolument indispensable à un renouveau, je relève depuis notre dernière assemblée trois grandes orientations positives du combat pour les langues anciennes.

Vous vous souvenez qu'il y a un an, nous étions, encore une fois, en pleine pétition, à la suite de l'appel pour le latin et le grec dont Jacqueline de Romilly et d'autres personnalités avaient pris l'initiative. Dans la lancée de cette pétition, une journée a été organisée par la CNARELA, le 15 mai dernier à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales. Cette journée, dans un amphithéâtre bondé, en la présence de Jacqueline de Romilly, a permis la démonstration spectaculaire de notre unité d'action ; grâce au collectif "Sauver les Lettres", elle a suscité les très utiles et très émouvants témoignages de personnalités issues de milieux divers. C'est à cette occasion que nous avons fait la connaissance du mathématicien Laurent Lafforgue, dont l'intervention nous a éblouis et qui a nous fait le grand honneur d'accepter de parler à notre assemblée. Vous trouverez en annexe son allocution. (Laurent Lafforgue, né en 1966, a obtenu en 2002 la médaille Fields de mathématiques, équivalent du prix Nobel ; il est membre de l'Académie des Sciences et a publié avec cinq autres académiciens un beau texte intitulé "Les savoirs fondamentaux au service de l'avenir scientifique et technique".) La journée mémorable de l'EHESS a donné lieu à publication par la CNARELA et Les Belles Lettres sous la forme de l'édition d'un livre intitulé Appel pour le latin et le grec, qui est disponible uniquement auprès des librairies correspondantes des Belles Lettres ou sur le site de l'éditeur.

Un deuxième temps fort a été la parution du livre de MM. Wismann et Judet de la Combe, L'avenir des langues, Repenser les Humanités aux éditions du Cerf, en septembre. Ce livre conclut les rencontres et les analyses suscitées par la Mission sur les langues anciennes créée par Jack Lang et prorogée par Luc Ferry. Il insiste avec raison sur la notion de langue de culture : les langues de culture ne sont ni des parlers locaux limités à une société donnée, ni des langues de service, indispensables mais insuffisantes bonnes à tout faire de la communication internationale. La défense des langues de la culture européenne, s'appuyant naturellement sur les langues anciennes, apparaît aux auteurs comme une nécessité urgente dans la construction européenne. Cette construction européenne pourra ainsi se réaliser à la fois en toute connaissance des différentes identités culturelles des peuples qui constituent l'Europe, et en trouvant aussi, grâce en particulier aux langues anciennes, les moyens d'une culture partagée. Les auteurs ont fondé un "Observatoire des études classiques en Europe" qui poursuit cette réflexion, et ils organisent prochainement un colloque intitulé "Les grammaires de la liberté. Pour le droit à la langue".

De la troisième orientation, je trouve l'inspiration, dans le dernier ouvrage de Jacqueline de Romilly, L'élan démocratique dans l'Athènes ancienne, (éditions de Fallois). Elle consiste à trouver dans l'étude des langues anciennes, et singulièrement du grec, non pas un modèle, non pas une recette — "Nous ne pouvons imiter ni les données initiales ni les ultimes aboutissements, qui appartiennent désormais au passé" —, mais un "élan" pour agir dans nos démocraties modernes — "Nous avons besoin, de façon urgente, d'un peu plus de participation, d'un peu plus de sens de la collectivité, et d'un peu plus d'enthousiasme" —. Une fois encore, Madame de Romilly nous incite à l'espoir, à la confiance et, pour employer un autre mot latin, au civisme.

Notre association a aussi poursuivi sa lutte pour la restauration d'un enseignement plus solide du français à tous les niveaux d'enseignement. Nous nous sommes associés à une pétition lancée par le collectif "Sauver les Lettres" pour le rétablissement des horaires de français qu'on proposait autrefois (autrefois, c'est-à-dire encore en 1976 !) aux élèves. "On ne peut parler honnêtement de lutte contre l'illettrisme ou de démocratisation du secondaire en refusant aux élèves d'aujourd'hui ce qu'on accordait hier à leurs aînés", tel est le message auquel nous avons souscrit et que nous avons voulu faire passer. Grâce notamment à une conférence de presse tenue au bon moment, c'est-à-dire le jour où était publié un rapport officiel et incontestable sur la faiblesse de la connaissance du français à l'entrée au collège, il a été largement repris par les médias. Les choses évoluent peu à peu. On conteste en effet de moins en moins la réalité du bilan, accablant, des dernières décennies. Pour renforcer la coordination des actions en ce sens, nous avons jugé utile de vous proposer d'élire dans notre conseil le président de l'association qui anime le collectif "Sauver les Lettres", Michel Buttet. Vous venez de donner votre accord unanime à ce projet.

Je voudrais terminer mon intervention en vous présentant certaines de nos actions de soutien à différentes initiatives.

L'an dernier SEL avait en grande partie permis le voyage en France des responsables grecs du Centre culturel européen de Delphes, qui organisait l'été dernier avec l'Université de Paris-IV Sorbonne un stage pour une quarantaine de professeurs de grec d'Ile-de-France. Ce stage a eu lieu au mois de juillet dans des conditions exceptionnelles de travail (nous avions jusqu'à quatre séminaires par jour) et d'amitié. Deux comptes rendus, l'un portant surtout sur les séances de travail, l'autre sur les conditions d'ensemble du séjour, vont être mis sur le site de notre association. Nous remercions très chaleureusement le Centre culturel européen de Delphes d'avoir permis de telles rencontres.

Il organise aussi, pour les lycéens, avec l'appui de l'Inspection générale, un concours, les Pythia, qui cette année est étendu aux académies des régions Ile-de-France et PACA, ainsi qu'aux académies de Besançon et de Clermont-Ferrand. Notre association ajoute des prix supplémentaires aux deux voyages offerts par nos amis grecs, pour récompenser les élèves. De la même façon, nous soutenons financièrement le concours académique de la CNARELA de Clermont, qui a permis en 2004 la participation de quelque 3500 élèves et 88 établissements, ainsi qu'une "journée grecque" organisée à Mons et touchant plus de mille élèves d'une quarantaine d'écoles de Bruxelles et de la partie francophone du pays, ou encore la "semaine du théâtre antique" de Vaison-la-Romaine (avec à nouveau un millier de participants).

Nous avons rappelé dans notre dernière lettre d'information que nous soutenions aussi les voyages éducatifs pour lesquels les professeurs voulaient faire appel à nous, sur présentation d'un dossier détaillé de son intérêt pédagogique.

Voilà donc le bilan que je dresse de l'année écoulée et qui nous a conduits des problèmes généraux à l'action de terrain. Une fois n'est pas coutume, plus que les motifs d'inquiétude, qui pourtant ne manquent pas, j'ai cherché à mettre en valeur les motifs de confiance. Cette semaine, on joue à Paris trois pièces fondatrices, Antigone, les Bacchantes et une pièce inspirée de l'Orestie. Cette semaine, des passionnés ont consacré trois journées à une lecture publique intégrale de l'Iliade ! Cette semaine, un festival consacré aux langues anciennes est organisé en Bretagne. La culture classique, pour reprendre ce mot que Jacqueline de Romilly aime tant, reste en plein élan, et notre ambition est de continuer d'y participer. Nous vous remercions de votre aide et de votre fidélité.