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Assemblée générale 2006

Paul Demont, président

Chers amis,

Au cours de l’année qui vient de s’écouler, et malgré le changement d’équipe ministérielle, c’est, dans l’ensemble la continuité qui a prévalu, même s’il nous faut faire quelques réserves assez graves.

Nous nous félicitons tout d’abord que les mesures prises antérieurement aient été confirmées. Pour les langues anciennes notamment, l'augmentation de leur coefficient au baccalauréat, (seuls comptent les points au-dessus de la moyenne, désormais multipliés par trois) est une mesure très importante, qui entre en vigueur cette année. Pour le français, le retour progressif à une pédagogie plus raisonnable est encourageant.

Du côté du latin et du grec, si l’on se place d'un point de vue statistique, les effectifs sont stables ou en progression. En 2004-2005, il y avait en France 33 892 hellénistes (dont 14 937 au lycée) et 533 075 latinistes (dont 62 484 au lycée). Je n’ai pas encore les chiffres de 2005-2006, mais il m’a été confirmé de source sûre qu’ils étaient au moins stables. Tout d’abord le grec : le fait que près de 20 000 collégiens soient initiés au grec et à la civilisation grecque antique en classe de Troisième, même si beaucoup ne peuvent continuer l’option au lycée, nous semble devoir être souligné. Je le dis en votre nom, et avec toute la solennité qui convient, en une époque où de louables soucis d’économie pourraient risquer d’aboutir à un appauvrissement catastrophique de la formation intellectuelle offerte à notre jeunesse : notre Association estime qu’il faut absolument conserver et élargir cette possibilité. Ce n’est pas un luxe inutile, mais l’occasion pour beaucoup de collégiens, d’une ouverture à différents aspects encore vivants de notre culture, et d’un apprentissage de la langue grecque antique, certes minimal, mais qui est précieux pour leur perception de la civilisation dans laquelle ils grandissent, pour leur connaissance du français et pour leur avenir à chacun. Du côté du latin, il semble que le mouvement de baisse des effectifs à l’entrée au lycée, qui était préoccupant depuis plusieurs années, soit en train d’être enrayé. Comment les élèves choisissent-ils leurs options en quittant le collège ? Je voudrais évoquer, à la demande de l’un de nos adhérents, la partialité regrettable des documents qui sont distribués aux élèves des collèges pour préparer leur entrée au lycée. À la page 21 du “Guide après la Troisième” diffusé par l’ONISEP, figurent des conseils pour le choix de ce qu’on appelle les “enseignements de détermination”, c’est-à-dire les enseignements obligatoires différents selon les sections : ces disciplines sont réparties en deux catégories : les enseignements “les plus répandus” et les “enseignements les moins répandus”. Vous ne serez pas étonnés d’apprendre que le latin et le grec sont dans la deuxième catégorie ! Sur ce point, s’il s’agit d’une sorte de constat, nous pouvons à la rigueur l’admettre. Mais c’est une indication qui oriente les élèves, et qui oriente donc le constat. Nous estimons que le latin devrait figurer, avec la langue vivante 3, dans la catégorie des enseignements “les plus répandus”, au vu des chiffres du collège. De plus, ce qui nous paraît tout à fait choquant, c’est que le choix du latin, comme celui du grec, soit indiqué avec la seule mention: “conseillé pour le bac L avec un profil lettres classiques”. Certes, il s’agit des “enseignements de détermination”, et non pas des options en général. Mais il me semble que le choix du latin ou du grec en “enseignement de détermination” devrait être conseillé pour le bac L avec un profil littéraire en général, et non pas seulement de lettres classiques. De futurs étudiants d’Histoire, de Philosophie, d’Espagnol, et évidemment de Lettres modernes, tireraient profit d’un tel choix. Nous appelons donc de nos vœux une modification des indications données aux élèves. Il faut d’ailleurs que les autorités qui nous gouvernent prennent mieux en compte, après le baccalauréat aussi, au niveau des classes préparatoires littéraires aux grandes écoles, l’utilité, et même la nécessité des langues anciennes pour tous les cursus littéraires. Beaucoup de travail a été fait dans cette perspective, et nous souhaitons très ardemment que cela débouche enfin sur des mesures concrètes, dans ce qu’on appelle “l’hypokhâgne indifférenciée”.

Je suis ainsi passé peu à peu de l’aspect statistique et administratif des choses au contenu des enseignements. À cet égard, nous pouvons nous réjouir de la publication de nouvelles instructions sur l’enseignement des langues anciennes dans l’enseignement du second degré, et du travail que beaucoup de professeurs font, en liaison avec leurs inspecteurs régionaux ou généraux, pour renforcer à la fois — les trois choses vont de pair — l’attractivité, la rationalité et la progressivité de l’étude. Nous pouvons nous réjouir aussi de la vitalité du site informatique consacré aux langues anciennes qui a peu à peu été mis en place sous le nom de Musagora : je vous invite à le consulter ! Parmi les bonnes nouvelles figure aussi l’évolution vers des programmes plus ouverts en français, et vers des méthodes plus rationnelles d’apprentissage.

Plus rationnelles, qu’est-ce à dire ? Nous avons eu la chance d’entendre au mois de novembre une conférence donnée par un spécialiste canadien reconnu de la pédagogie, le professeur Clermont Gauthier, qui a publié au Québec un livre au titre évocateur : Échec scolaire et réforme éducative. Il nous en a présenté les principales conclusions au cours d’une réunion organisée, en une collaboration heureuse, par l’association “Sauver Les Lettres” et nous-mêmes. Ce livre a eu un très grand retentissement au Canada parce que les thèses qu’il soutient sont fondées non sur des considérations idéologiques, mais sur des enquêtes incontestables, réalisées sur des milliers d’élèves et des dizaines d’écoles. Nous vous invitons à lire une présentation de ces travaux, que nous vous adressons en annexe. J’en résume certaines conclusions. Premier constat, allant à l’encontre de certaines théories à la mode : la qualité de l’enseignement fait une différence, et tout ne se joue donc pas en dehors de l’école. Deuxième constat : parmi les différentes approches pédagogiques, c’est la méthode dite “explicite” ou “systématique” qui obtient les meilleurs résultats, celle qui enseigne clairement un ensemble précis de connaissances, et elle obtient les meilleurs résultats même du point de vue des progrès apparemment les moins liés aux contenus disciplinaires, c’est-à-dire dans l’évolution affective et sociale de l’élève. J’avoue avoir été très impressionné par la conférence de M. Gauthier, qui m’a réconcilié avec la pédagogie. Nous pourrions souhaiter que la branche française de cette discipline tienne mieux compte de ce genre de travaux. Dans le domaine du français, l’incroyable diversité des épreuves du baccalauréat actuel, l’écart entre ce qui est demandé et ce que les élèves peuvent faire, l’opacité d’une partie du vocabulaire de la critique, et même certains aspects de l’organisation de l’enseignement autour des “objets d’étude”, voilà des points qui pourraient ou devraient être utilement évalués selon les méthodes qu’on utilise outre-Atlantique. Je donne ces exemples au cas où vous estimeriez que M. Gauthier ne dit que des évidences : ce ne sont pas des évidences pour tout le monde, loin de là. De tels travaux de pédagogie font d’ailleurs progresser aussi les méthodes anciennes, qui n’étaient pas exemptes d’erreurs ou de défauts elles non plus. En tout cas, la réflexion doit être beaucoup plus ouverte qu’elle ne l’est actuellement. Je vous informe à ce propos qu’une association proche de la nôtre organise bientôt une réunion sur la question très délicate, mais évidemment capitale, de l’enseignement du français à l’école primaire, le dimanche 2 avril à 14 h 30 dans la salle des conférences du Lycée Henri IV (le programme en sera mis sur notre site).

Donc, à notre avis, il serait utile que des esprits libres puissent faire valoir la nécessité de telles remises en cause au plus haut niveau. Vous vous souvenez sûrement de la magnifique conférence que vous avez entendue à notre dernière assemblée générale, de la part d’un jeune mathématicien de réputation internationale, Laurent Lafforgue, sur « Les études classiques et la liberté de l’esprit », une conférence qui a été publiée sur de nombreux sites internet (dont le nôtre) et dans la revue Le Débat. M. Lafforgue a été nommé au sein du Haut Conseil pour l’Éducation, une nouvelle instance qui pourrait être amenée à jouer un rôle important dans l’évolution de l’éducation en France, et, à peine cette nouvelle instance a-t-elle été créée qu’il a été contraint de présenter sa démission, en raison justement de la liberté de ton avec laquelle il s’était exprimé dans un courrier privé, qui a été rendu public. Dans l’esprit des réflexions qui précèdent, et si vous en êtes d’accord, je propose que notre assemblée générale vote une motion de soutien à M. Lafforgue en ces termes :
“M. Laurent Lafforgue, membre du Haut Conseil de l’Éducation, a été contraint à la démission le 21-11-2005. L’autorité intellectuelle et scientifique de M. Laurent Lafforgue, médaille Fields de mathématiques, est telle que son départ conduit inévitablement au discrédit de l’institution qu’il est forcé de quitter. L’assemblée générale de l’association SEL apporte son soutien à M. Lafforgue. L’éducation nationale a besoin de l’avis d’esprits libres et de personnalités scientifiques incontestables. L’association SEL exprime le vœu que les plus hautes autorités de l’État en tiennent compte.” (La motion est adoptée à l’unanimité)

Je vous ai parlé du latin et du grec, et de la pédagogie, de façon générale. Il me faut évoquer aussi, plus rapidement, une série de soucis plus particuliers que nous avons eus cette année et qui nous ont conduits à intervenir dans la mesure de nos possibilités. L’un a concerné le jury de l’agrégation de Lettres modernes. Un deuxième tient aux prémices d’une évolution du concours du CAPES vers un système qui risquerait, si cette évolution était confirmée, d’abaisser le niveau de compétences des enseignants, qui pourraient être amenés à enseigner deux disciplines, le français et l’histoire par exemple. Un troisième est malheureusement récurrent : les suppressions de classes dans le second degré et de postes dans l’enseignement supérieur. Dans le second degré, certains chefs d’établissement sont envoyés avec pour mission, ou se donnent à eux-mêmes la mission de supprimer des options, à la fois, disent-ils, pour faire des économies et pour lutter contre l’élitisme. Le second argument est biaisé : en supprimant les options, ils affaiblissent leur établissement, ils ne luttent pas contre l’élitisme, parfois même ils font fuir une partie des élèves vers le privé ou d’autres établissements, et encouragent ainsi l’élitisme. Si certains regroupements d’options ne sont pas contestables, nous demandons que les élèves aient réellement la possibilité de choisir les options de langues anciennes à l’entrée au Lycée, que ce soit en « enseignement de détermination » ou en « enseignement optionnel » (c’est-à-dire facultatifs) : trop souvent, ce n’est pas le cas. Et que les ouvertures et les fermetures de classe tiennent compte à la fois des choix pour les enseignements de détermination, et des choix pour les enseignements optionnels, ce qui n’est pas du tout le cas actuellement.

Le point le plus grave est venu en surprise, et concerne la politique de recrutement des professeurs. Les jeunes étudiants qui préparent les concours du CAPES et de l’Agrégation ont appris, la veille de Noël, que le nombre des postes qui leur étaient proposés dans les concours qu’ils passeront en mars et avril prochains était réduit dans des proportions très importantes (environ un tiers de postes en moins). Nous avons immédiatement protesté vigoureusement, avec beaucoup d’autres associations, en co-signant à la fois une lettre au Président de la République et une pétition, que vous avez peut-être signée. Dans ce domaine, cette année est une année sombre. Il est d’abord peu admissible que les jeunes étudiants se trouvent ainsi, en pleine année de préparation, placés devant une modification si tardive des conditions de leurs concours. De plus, la réponse que nous avons reçue, qui donne deux explications, ne nous a pas convaincus. Je vous laisse apprécier le premier argument, sans le commenter : il consiste, à mettre en cause la politique trop laxiste (le mot n’est pas employé, mais c’est l’esprit) des “cinq dernières années”. En second lieu, ce qui justifierait que le nombre des postes de Lettres classiques soit en baisse de près d’un tiers, ce serait principalement le fait que, comme les professeurs de Lettres classiques ne font qu’une petite partie de leur service en latin ou en grec, — je cite—, “il existe des marges de développement de l’enseignement de ces langues à effectifs d’enseignants constants”. Donc, —c’est moi qui ajoute cette conclusion— on pourrait développer le latin et le grec au détriment du français. Il serait très dommageable, à tous les points de vue, de vouloir séparer les langues anciennes du français, et plus dommageable encore de les opposer au français. Notre association est largement fondée sur la complémentarité de l’enseignement entre ces trois disciplines, et nous la défendrons bec et ongles.

Après ces considérations malheureusement peu satisfaisantes, je voudrais vous présenter certaines de nos actions de soutien à différentes initiatives. Nous avons d’abord une nouvelle fois, encouragé la réalisation du concours des Pythia, qui a permis à deux élèves, l’un de Paris, l’autre de Moulins, de passer avec leurs professeurs une semaine merveilleuse en Grèce. Nous avons offerts des livres à tous les participants. C’est la dernière fois, car la Grèce a décidé de fondre les divers concours qu’elle organisait dans une nouvelle structure unique. J’ai, dans la mesure de mes moyens, tenté de faciliter la transition entre les deux états de la situation, en attirant l’attention de nos amis grecs sur certains problèmes que pouvait poser la nouvelle solution adoptée. Il y a donc désormais deux concours de langues anciennes au niveau national, l’un, financé par la Grèce, qui concerne les élèves individuellement, l’autre, qui relève de notre pays, et qui concerne les classes entières, et qui, l’an dernier, a très bien fonctionné. Nous sommes bien sûr prêts à les soutenir tous les deux si cela apparaît utile. Beaucoup d’autres concours ou compétitions, généralement à thème, sont organisés ou bien de façon privée, ou bien de façon publique, mais au niveau local. Les principaux auxquels nous accordons notre aide sont celui de l’Académie de Clermont-Ferrand, qui réunit près de 4000 candidats (sur le thème “Les oiseaux dans l’antiquité”), celui de Charleroi et un concours organisé par des professeurs bretons sur le thème “À la découverte d’une cité antique”. Je signale aussi, à la demande des organisateurs, la création récente d’un concours pour les latinistes, celui de l’Institut… Cicéron, qui attend les candidatures (l’appel sera mis sur notre site). En dehors des concours, nous aidons aussi régulièrement des classes à financer leur séjour en Provence, en Italie ou en Grèce, à condition que les projets soient sérieusement argumentés, accompagnés d’un budget prévisionnel précis et de la recommandation du chef d’établissement. Ont profité de cette possibilité au cours de l’année des collégiens et des lycéens de Seine-et-Marne, de l’Essonne, d’Alsace, de Paris et d’Aix-en-Provence. Les voyages sur les lieux mêmes des civilisations antiques ont en effet une incontestable et irremplaçable vertu éducative, que beaucoup d’entre vous ont éprouvée.

À défaut de participer à l’un de ces voyages, nous allons tout du moins dans un instant avoir la joie de découvrir, sans quitter cet amphithéâtre, des témoignages tout à fait exceptionnels de l’imprégnation grecque à l’époque hellénistique et romaine, en Orient, et plus particulièrement dans cet Afghanistan si meurtri. Notre conférencier d’aujourd’hui, M. Paul Bernard, membre de l’Institut, et éminent spécialiste de ce dossier si important, nous propose en effet cette année un retour très savant, mais aussi très passionnant, au monde grec, et à un monde grec ouvert sur les autres, en contact avec les autres : une image, soyons-en persuadés, de notre conception des langues anciennes. Il va dévoiler devant nous, quelques-unes des découvertes les plus extraordinaires de ces dernières années.

Mais auparavant, nous allons avoir une autre joie, celle d’entendre Madame Jacqueline de Romilly, à qui je redis en votre nom à tous notre affectueuse et admirative gratitude.