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Archives - 2007

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Assemblée générale 2007

Paul Demont, président

Chers amis,

Permettez-moi de remercier tout d'abord M. le Président de Paris-IV-Sorbonne, Jean-Robert Pitte, qui a la gentillesse d’accueillir encore cette année notre assemblée.

L’année en cours pourrait sembler une année de transition, dans l'attente des échéances des prochains mois. En fait, c'est une année importante pour nous.

Tout d’abord notre association fête ses quinze ans. Nous avons une existence un peu exceptionnelle dans le paysage des associations. Notre efficacité repose sur deux piliers : le soutien de nos adhérents d'abord, qui répondent toujours présents dès qu'on leur demande d'agir (la dernière preuve en est la façon dont vous avez signé l'appel de M. Laurent Lafforgue à la refondation de l'école) et qui nous ont donné les moyens financiers de riposter rapidement et massivement, en cas de coup dur. En second lieu, le prestige et l'influence des membres de notre Conseil. Aussi n'agissons-nous pas selon un plan global savamment préparé à l'avance : ceux qui imaginent que nous sommes une sorte de lobby occulte se trompent. En fait, nous agissons principalement à titre individuel, parce que tel ou tel d'entre nous se voit confier, intuitu personae, une mission d'expertise ou de conseil. Mais comme nous avons mené des combats communs et que nous avons une orientation commune, il se trouve que nos engagements individuels participent à l'action de notre association. C'est particulièrement le cas cette année dans trois domaines : l'enseignement du français en général, l'enseignement de la grammaire, et les perspectives d'évolution de l'enseignement des langues anciennes après le baccalauréat.

Les deux premiers points concernent la mise en œuvre du "socle commun des compétences", ces compétences qui doivent être maîtrisées par tous les écoliers français, selon le décret du 11 juillet 2006. M. Michel Jarrety, professeur à la Sorbonne, membre de notre Conseil et notre ancien président M. Marc Fumaroli jouent un grand rôle dans les commissions nommées à cet effet, et nous pouvons leur faire confiance pour agir au plus près de nos intérêts. J'insisterai donc surtout sur l'enseignement de la grammaire et la question des langues anciennes après le baccalauréat.

J'évoquais l'an dernier, pour le français, "le retour progressif à une pédagogie plus raisonnable". Pour l'apprentissage de la lecture et de la grammaire, les choses se sont beaucoup précisées. En ce qui concerne la lecture, pour faire un peu d'histoire récente, les formules des programmes de 2002 sur les méthodes dites "globales" avaient marqué déjà un infléchissement, encore extrêmement prudent et trop ambigu. Je les cite: "On considère aujourd'hui que ce choix [celui de la méthode globale] comporte plus d'inconvénients que d'avantages" (Qu'apprend-on à l'école primaire ? Les nouveaux programmes, CNDP, 2002, p. 78), phrase qui était immédiatement annulée par celle qui suivait : "Il appartient aux enseignants de choisir la voie qui conduit le plus efficacement, etc." Les choses sont beaucoup plus claires, au moins dans les instructions officielles, depuis l'arrêté du 24 mars 2006. La méthode syllabique doit être employée partout, non pas en vertu d'un oukase réactionnaire, ni par esprit doctrinaire, mais parce que c'est la meilleure méthode pour "construire des automatismes" de lecture, et plus tard d'orthographe. En ce qui concerne justement l'orthographe et la grammaire, qui sont inséparables, M. Erik Orsenna, membre de l'Académie française et l'un des membres de notre Conseil, qui avait su auparavant si bien évoquer "la chanson douce" qu'est la grammaire, a participé à l'élaboration du rapport que le professeur Alain Bentolila, de l'Université de Paris-V, a réalisé à la demande du Ministre sur l'enseignement de la grammaire. Ce rapport a été remis le 29 novembre 2006, et il a déjà été suivi d'effet : le BO n°3 du 18 janvier dernier, qui publie la circulaire (2007-011) préparant la rentrée de septembre 2007, en tient compte, et on y trouve même une circulaire spécifique sur ce point précis (2007-013). Nous approuvons ces principes et les recommandations qui en sont issues. Je les résume. Principe fondamental : la connaissance de la grammaire est libératrice, sa méconnaissance emprisonne et marginalise les jeunes élèves. Méthode à suivre : son enseignement doit respecter une progression précise et rigoureuse, et non pas dépendre presque uniquement de la rencontre aléatoire de "situations de parole" ou de textes choisis indépendamment de cette progression. J'insiste sur ce point capital. Dans les programmes de 2002, eux-mêmes pourtant en progrès par rapport aux précédents, on lisait cette phrase étonnante, à propos de la fin de l'école primaire (ce qu'on appelle le cycle 3) : "La maîtrise du langage ne peut en aucun cas être acquise dans des exercices formels tournant à vide". Cette phrase était développée ensuite de la façon suivante : "Pas une minute ne doit être soustraite des enseignements qui donnent à chacun une solide culture sous prétexte que certains élèves ne lisent pas comme ils le devraient ou ont des difficultés d'écriture" (Qu'apprend-on à l'école primaire ? Les nouveaux programmes, CNDP, 2002, p. 156). Peu importait donc qu'une bonne partie des élèves ne sussent ni lire ni écrire, ils recevaient, sans perdre une seule minute à rattraper ce retard mineur, une solide culture par la grâce des programmes dits "transversaux"... La circulaire de janvier dernier réhabilite enfin les exercices systématiques au sein de leçons spécifiquement vouées à la grammaire et identifiées par un horaire précis, de 3 heures par semaine au minimum (2007-013, p. 113). Il ne s'agit pas de renoncer, bien entendu, aux méthodes reposant sur l'observation, la manipulation des mots et la réflexion, et ce serait faire un mauvais procès à cette circulaire que de l'accuser de cela. Je connais des instituteurs de jadis ou de naguère, adeptes de la pédagogie Freinet, et qui pratiquaient néanmoins comme une évidence les exercices systématiques, après les méthodes d'observation et de découverte : ils savaient qu'un moment vient où il faut construire des automatismes, et que là est la seule solution pour les construire. Cette circulaire insiste, de plus, sur le fait que la progression dans l'apprentissage de la grammaire doit commencer dès l'apprentissage de la lecture et s'appuyer sur une nomenclature unique, stable, privilégiant simplicité, rigueur et transparence. Là encore, que de temps perdu pour revenir enfin à ces évidences ! On peut d'ailleurs trouver un peu timides les propositions du rapport concernant la nomenclature : si celle-ci est simple et rigoureuse, on peut la proposer tôt, cela ne fera que clarifier les choses. On pourrait ajouter aussi que cette nomenclature devrait être accompagnée d'un codage de la reconnaissance des formes (sujet, verbe, etc.) simple et identique pour tous les élèves : cela faciliterait les passages d'une école à une autre et l'aide de la famille.

Nous adhérons entièrement à l'objectif de cette réforme tant attendue. C'est bien, comme le dit le titre d'un ouvrage tout récent de M. Bentolila, Le verbe contre la barbarie. Mais il faut ajouter un dernier point : si la maîtrise de l'orthographe grammaticale doit constituer un objectif essentiel de l'enseignement primaire, comme l'estime le rapport qu'il a rédigé, cela implique, l'école ne pouvant pas tout faire à la fois, qu'on lui donne une priorité effective, dans les horaires notamment. Nous redoutons vivement qu'après ces instructions heureuses, d'autres viennent donner aux écoles la liberté de l'organisation de la vie des classes qui viendrait diminuer les horaires obligatoires et ruiner l'effet de ces mesures positives. Personne pourtant ne conteste plus, désormais, l'évolution très inquiétante qu'a subie l'enseignement de notre langue. Je peux même en prendre le journal Le Monde pour témoin. Dans un article du 9 février, on lit ces mots: "Le niveau (en orthographe) d'une classe de cinquième de 2005 est celui d'une classe de CM2 de 1987. Cette baisse ne relève ni du sentiment subjectif ni de l'affirmation polémique. Elle est démontrée par un travail universitaire". Apparemment, pour le journaliste, tout ce que nous disions depuis quinze ans n'était évidemment que sentiment subjectif et affirmation polémique, que ce travail universitaire dépasse enfin. Encore faut-il franchir une étape supplémentaire, revenir sur les mesures catastrophiques de la période qui s'achève et prendre les moyens de promouvoir à nouveau un enseignement efficace ! Nous sommes très anxieux de savoir quelles orientations les candidats à l'élection présidentielle envisagent dans ce domaine. Nous leur enverrons très vite le compte-rendu de notre Assemblée générale et vous ferons immédiatement part de leurs réactions, si nous en recevons !

Il en sera de même pour la deuxième question de fond : l'enseignement des langues anciennes dans les classes préparatoires littéraires, dites hypokhâgnes et khâgnes. Auparavant, voici quelques mots sur la situation de ces langues anciennes dans l'enseignement secondaire.

Les effectifs des latinistes et des hellénistes restent stables ou en progression, malgré une petite diminution des latinistes en collège. En 2004-2005, il y avait en France 33 892 hellénistes (dont 14 937 au lycée) et 533 075 latinistes (dont 62 484 au lycée). En 2005-2006, il y avait 36150 hellénistes (dont 15 449 au lycée) et 529 372 latinistes (dont 63 343 au lycée). L'augmentation du coefficient de l'option de langues anciennes au baccalauréat, en vigueur pour la première fois en juin dernier, commence vraisem­blablement à produire ses effets positifs. Il faut absolument pérenniser cette mesure. Les programmes de langues anciennes des collèges et des lycées ont été refondus, et, estimons-nous, dans le sens aussi de la sagesse, c'est-à-dire en revenant à une progressivité plus claire et plus rigoureuse dans l'apprentissage de la langue et dans le choix des textes : sur ce point, il faudra plus de temps pour en voir les résultats. Nous sommes toujours préoccupés, en revanche, par certaines politiques rectorales de fermeture ou de regroupement de classes et il est à craindre que, dès les élections passées, la lutte contre les options facultatives en général reprenne, principalement pour des raisons administratives et financières.

Le rôle décisif des langues, d'une façon étrange, est encore méconnu là où il devrait principalement être pris en compte, dans les classes littéraires d'après le baccalauréat, hypokhâgnes et khâgnes. Vous savez qu'elles sont divisées en plusieurs sections, et qu'on distingue en particulier les classes préparant l'École normale supérieure de Paris et celles qui préparent l'École normale supérieure de Lyon, d'après un critère notable : dans les premières, une langue ancienne est obligatoire, mais non dans les secondes. Après de nombreuses péripéties, une commission à laquelle j'ai participé avec deux autres membres de notre Conseil, Mme Monique Trédé et Mme Emmanuèle Blanc, a abouti à une proposition simple : que la première année de préparation, l'hypokhâgne, soit indéterminée, et qu'un enseignement de langue et culture antiques de 3 heures y soit obligatoire. Le ministre a accepté cette proposition, dans le cadre de sa volonté de renforcer l'égalité des chances pour les jeunes après le baccalauréat : tous nos meilleurs étudiants littéraires ont en effet le droit d'accéder à la culture classique, et inversement, seraient pénalisés de ne pas y avoir eu accès, pendant un an au moins. Les modalités précises, qui sont assez complexes, sont en cours de rédaction définitive au ministère. Nous espérons très vivement que cette réforme, si longtemps différée, aboutira dans les tout prochains jours, et que les nouvelles équipes gouvernementales ultérieures la confirmeront.

Il me faut enfin dire quelques mots des actions ponctuelles que nous avons pu mener en faveur des langues anciennes. Nous avons notamment participé financièrement à la réalisation de différents voyages scolaires en Italie ou en Grèce. Ont profité de cette possibilité au cours de l’année des collégiens et des lycéens de Seine-et-Marne, du Val d'Oise, des Yvelines, d’Alsace, d'Evreux et d’Aix-en-Provence. Les voyages sur les lieux mêmes des civilisations antiques ont en effet une incontestable et irremplaçable vertu éducative, et sont de plus en plus difficiles à organiser pour les professeurs : ceux-ci ont donc et auront donc de plus en plus besoin de notre aide. Nous leur rappelons que nous y sommes prêts, à condition que leurs projets soient argumentés, accompagnés d’un budget prévisionnel précis et de la recommandation du chef d’établissement Nous avons aussi soutenu divers concours, comme celui de l’Académie de Clermont-Ferrand et celui de Charleroi, et allons bientôt aider financièrement un festival breton consacré à l'Antiquité.

Notre Association a quinze ans, vous ai-je dit. Elle a perdu cette année l'un de ses membres fondateurs et l'un de ses plus efficaces et plus actifs soutiens, M. Bertrand Poirot-Delpech, de l'Académie française. Nous lui avons déjà rendu hommage, et nous avons aujourd'hui encore une pensée émue pour sa mémoire. Il était l'un de nos Vice-présidents. Notre conseil a élu, pour lui succéder dans cette fonction, Mme Monique Trédé, professeur à l'École normale supérieure de Paris.

Notre conférencier de l'an dernier, M. Paul Bernard, nous avait emmenés aux marges du monde grec hellénistique. Celui d’aujourd’hui, M. Bernard Flusin, professeur à la Sorbonne, va nous ouvrir à un autre monde, Byzance, dont la civilisation est si riche et a tenu un rôle décisif dans la transmission de l'antiquité grecque. Cet excellent connaisseur de la civilisation byzantine nous présente Jean Mésaritès, un grand lettré du XIIe siècle, qui fut pris lui aussi, et, peut-être plus que nous, dans la tourmente et les angoisses.