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Assemblée générale 2008

Paul Demont, président

Chers amis,

Je voudrais aujourd'hui centrer mon intervention sur quatre questions qui sont particulièrement d'actualité, et qui nous feront parcourir tout le cursus scolaire, de l'école primaire à l'université. La première question fait remonter à la source. C'est l'enseignement du français à l'école primaire. Le Ministère de l'Éducation nationale a publié le 20 février, sur son site internet, un projet de nouveaux programmes de l'enseignement primaire, et il recueille les avis de tous ceux qui veulent bien le donner, par la même méthode, c'est-à-dire l'internet. Il est très facile de répondre. Il suffit de consulter le site du ministère. On voit immédiatement apparaître un encadré intitulé "Les nouveaux programmes de l'école primaire". On peut alors les consulter en cliquant sur "consulter les textes" et donner ensuite son avis en cliquant sur "donnez-nous votre avis" et en répondant à quelques questions simples. Il me semble extrêmement important que le plus grand nombre d'entre nous réponde à cette consultation, et que chacun d'entre nous encourage son entourage familial ou professionnel à faire de même.

Que répondre ? Chacun le fera à sa façon, bien sûr. Deux anciens ministres, MM. Lang et Ferry, ont dénoncé véhémentement, dans un article du Monde il y a quelques jours ce qu'ils appellent "le populisme scolaire" de la réforme proposée. C'est reconnaître volentes nolentes, je pense, que le verbiage insensé des anciens programmes, la quasi-interdiction de l'enseignement de la grammaire et l'effondrement des exigences pendant la période récente ont cessé d'être populaires, s'ils l'ont jamais été. Et si c'est être populiste que de le constater, soyons populistes sans complexe ! Les programmes antérieurs prétendaient enseigner le français partout, dans toutes les matières, au long de l'enseignement primaire, sans l'enseigner véritablement pour lui-même de façon systématique, et le résultat, désormais constaté par tous, est que les élèves parvenus en fin de lycée ne pratiquent à aucun moment leur langue correctement et ne sont invités à la correction linguistique quasiment nulle part. La dépêche de l'agence France-Presse publiant l'intervention de MM. Ferry et Lang ne donne qu'un seul argument à l'appui de leurs anathèmes, c'est la question des horaires, et j'y reviendrai brièvement dans un instant. Mais il faut surtout lire le projet de réforme lui-même. Pour la partie qui nous concerne, on y voit que le français redevient une discipline à part entière, avec un horaire et un programme national à respecter, et que, dans ce programme, son apprentissage progressif est décrit en des termes compréhensibles, avec une précision dans les objectifs, qui avait peu à peu été oubliée depuis vingt-cinq ans, afin que les écoliers, à l'issue de l'école primaire, aient une connaissance sérieuse et une pratique correcte de leur langue. Il est évident que c'est l'ignorance de la langue qui est le premier facteur d'exclusion sociale, et que la méconnaissance des complexités de son usage est un facteur important de discrimination. Pour ne prendre qu'un exemple, le passé simple et l'impératif présent seront désormais à nouveau étudiés en cours moyen première année, le futur antérieur, le plus-que-parfait et le passé antérieur de l'indicatif au cours moyen deuxième année, ainsi que le conditionnel présent et le subjonctif présent. Les apprendre, c'est évidemment acquérir plus d'autonomie, mieux comprendre les textes et les discours, mieux penser. Nous souscrivons sans réserve à ces orientations, que nous appelions de nos vœux depuis si longtemps, et je vous demande à nouveau de manifester notre soutien par vos réponses, et en sollicitant les réponses de vos proches. En ce qui concerne les horaires, le Ministère se trouve pris entre des exigences contradictoires. Le renforcement du soutien individuel des élèves est une nécessité absolue, que les parents attendaient vainement depuis des années ; on peut comprendre aussi que la pratique du sport et les activités artistiques soient encouragées. Mais il conviendrait sans doute de mieux affirmer encore, dans les horaires, la priorité absolue à l'enseignement du français, et, en second lieu, des mathématiques. Il faut cependant d'ores et déjà saluer la réapparition d'un horaire spécifique important (neuf heures hebdomadaires). Le maintien de la situation actuelle serait catastrophique.

Dans le second degré, les programmes de français seront naturellement appelés à changer, en adéquation avec les nouvelles exigences du primaire. Au collège, nous souhaitons vivement que les professeurs de Lettres classiques exercent à la fois en langues anciennes et en français, notamment dans la première classe du collège, où leur rôle dans l'éveil des enfants au passé de leur langue et à la connaissance des civilisations antiques est décisif. Lors de nos audiences, nous avons insisté sur la nécessité de maintenir l'option de latin en Cinquième et l'option de grec en Troisième : il y va de la "culture humaniste", qui doit faire partie du "socle commun", sous des formes qui sont d'ailleurs à préciser, mais qui suppose aussi la possibilité réelle d'un enseignement optionnel spécialisé. Il y a, en 2007-2008, 439 660 latinistes sur les trois années de Cinquième, Quatrième et Troisième (c'est-à-dire un total encore considérable, mais, il ne faut pas se le dissimuler, une perte d'environ 100 000 élèves depuis l'instauration de l'option en Cinquième) et 18 625 hellénistes (un chiffre en légère baisse). Il n'est malheureusement pas très difficile d'expliquer ces baisses : de nombreuses divisions ont été fermées, des regroupements sont opérés de façon systématique dans le cadre d'une politique de "bassin" qui nous est très dommageable, et surtout l'obligation de la seconde langue vivante, à laquelle il n'est pas possible de s'opposer nous fait une rude concurrence. Nous recevons des témoignages navrants sur les effets néfastes de la politique de "bassin". Dans la banlieue parisienne, par exemple, il semblerait qu'il n'y ait plus d'option de grec dans les collèges de Vincennes et des environs et le seul collège d'Argenteuil qui offre une option de grec aux élèves, risque de la perdre en raison de la suppression de cette option dans le lycée Georges Braque voisin. Des professeurs nous signalent cependant qu'on peut utiliser les nouveaux dispositifs ("orphelins de 16h" et "accompagnement éducatif") pour y enseigner les langues anciennes avec profit. Nous demandons aussi que les résultats en langues anciennes soient explicitement intégrés dans les modalités d'obtention du Brevet des collèges, par le biais de la note de contrôle continu ou par des points de bonification, ce qui n'apparaît plus dans le dernier arrêté sur le sujet, comme cela nous a été signalé.

J'en viens au lycée, et d'abord au français : nous insistons vigoureusement sur la nécessaire redéfinition des épreuves de français du baccalauréat. Le « sujet d'invention », en particulier, semble avoir montré ses limites jusqu'à l'absurde. Mais la difficulté principale concerne plus généralement la série L (littéraire), dont les effectifs accusent une chute qui devient extrêmement inquiétante. Le Ministère réfléchit à une réforme, nous a-t-on dit, sans qu'on sache dans quelle perspective. Un élément a pu jouer, semble-t-il, dans l'effondrement progressif de la série L, c’est la disparition d'une option "mathématiques" sérieuse ; il faut sans doute veiller à ne pas enfermer les littéraires dans des études uniquement littéraires. De la même façon, nous avons répété que nous étions viscéralement attachés à la possibilité pour les élèves de toutes les séries générales d'avoir accès aux options de langues anciennes. La culture humaniste ne peut pas, ne doit pas concerner uniquement les littéraires. Cette année, il y a 70 392 latinistes et 17 241 hellénistes au lycée. La déperdition par rapport au collège est bien sûr toujours considérable, surtout en latin. Mais, d'une part, nous n'avons pas à regretter que beaucoup d'élèves aient fait trois années de latin et/ou une année de grec — c'est un acquis essentiel pour leur formation —, et, d'autre part, ce sont les meilleurs chiffres depuis longtemps. Ils sont sans aucun doute en rapport avec le coefficient 3 de l'option de langues anciennes au baccalauréat, une mesure extrêmement positive prise par M. Fillon quand il était ministre de l’Éducation nationale, et dont nous souhaitons bien sûr la pérennité. Il faut encourager nos futurs scientifiques à connaître ces langues et civilisations qui sont à la fois autres et proches de nous, et qui ont fondé l'Europe d'aujourd'hui. Nous serons extrêmement attentifs aux propositions qui seront faites dans les prochains mois.

Je passe plus rapidement sur la troisième question importante : la réforme de l'enseignement des langues anciennes en classes préparatoires littéraires (dites "hypokhâgnes"), dont je vous ai parlé l'an dernier et dans nos lettres d'information : elle a été adoptée et est d'ores et déjà appliquée. Un enseignement de « langue et culture antique » est désormais obligatoire pour tous les élèves. C'est, ici encore, un profond changement, qui était indispensable pour redonner leur place aux langues et civilisations anciennes dans ces classes et dont l'aspect positif ne doit échapper à personne, même s'il peut entraîner aussi, en raison de l'évolution des horaires et des programmes, une conséquence moins heureuse, un certain affaiblissement du niveau de latin et de grec des candidats à l’École normale supérieure de la rue d'Ulm. Les langues anciennes, qui étaient en voie de marginalisation accélérée, retrouvent une légitimité. Il me faut enfin aborder l'enseignement dans les universités, qui lui aussi est en train de beaucoup changer, notamment en raison de l'harmonisation européenne. Nous sommes peut-être ici sortis un peu de notre rôle, mais nous avons tenu à rappeler au Ministère notre attachement aux concours nationaux de recrutement des enseignants du second degré, dont la compatibilité avec les nouvelles formations de Master doit être reconnue et organisée. Permettez-moi une remarque. Les langues anciennes à l'université, c'est d'abord et avant tout le cursus de Lettres classiques, qui allie français, latin et grec. Mais c'est aussi l'enseignement du latin et du grec, sous une forme ou sous une autre, dans les autres cursus littéraires, Histoire, Philosophie, Histoire de l'art et Archéologie, notamment. Nous souhaitons l'ouverture la plus large de cette possibilité, y compris aux étudiants d'autres disciplines encore quand c'est possible, comme cela se fait ailleurs en Europe ou aux États-Unis. À cet égard, alors que les étudiants des disciplines que je viens de mentionner ont le plus souvent accès aux deux langues anciennes, ce n'est pas le cas pour les étudiants de Lettres modernes, qui sont limités, en ce qui concerne le grec, aux textes traduits ! C'est une incongruité qui mérite la réflexion.

De plus, au cours de l'année écoulée, nous avons comme d'habitude soutenu, grâce à votre fidélité, de multiples initiatives en faveur des langues anciennes, en particulier des voyages scolaires, des concours, comme le concours européen Cicéron ou le concours académique de langues anciennes de Clermont-Ferrand, et des manifestations publiques comme le festival breton des langues anciennes. Nous examinons avec bienveillance tous les projets argumentés, accompagnés d’un budget prévisionnel précis et, dans le cas des collèges et des lycées, de la recommandation du chef d’établissement ; nous souhaitons aussi recevoir ensuite un compte-rendu détaillé de l'utilisation de notre aide. Notre secrétaire générale Christiane Picard, aujourd'hui empêchée d'être avec nous par des ennuis de santé, joue un rôle déterminant dans la gestion de ces aides, comme dans la vie de notre association et je tiens à lui exprimer notre reconnaissance.

Nous sommes enfin intervenus à diverses reprises pour des cas particuliers de fermeture d'options de langues anciennes, avec des succès divers. Nous avons agi en vous représentant à diverses occasions : avant l'élection présidentielle et l'élection des députés, en participant activement à l'élaboration de l'appel à la refondation de l'école, puis, après les élections, dans les deux audiences qui ont été accordées à notre association par le Ministère de l'éducation nationale, en juin 2007 avec d'autres associations amies, et en février 2008 à notre association séparément (mais naturellement en coordination avec ces associations amies). Je voudrais enfin signaler la parution du nouveau livre de Madame Jacqueline de Romilly, Le sourire innombrable. J'ai mieux compris, en lisant son dernier ouvrage, si pénétrant et si fin, pourquoi nous l'aimons tant, et pourquoi nous aimons, en particulier, son sourire.