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Assemblée générale 2015

Monique Trédé, présidente

Chers amis,

En quittant l’amphithéâtre Richelieu où venaient de se tenir les États généraux de l’Antiquité, le 28 février dernier, j’espérais pouvoir faire lors de notre assemblée générale une intervention sinon optimiste, du moins raisonnablement roborative… Et début mars le succès encourageant de notre concours de nouvelles, lancé sans soutien institutionnel, me confortait dans cette idée : nous avons reçu 152 textes émanant de 15 académies et il apparaît déjà qu’il sera aisé de réunir 25 à 30 textes dignes d’être soumis à notre jury, dont je vous rappelle la composition : Catherine Cusset, Isabelle Jarry , François Taillandier, Véronique de Bure, Dominique Goust, David Groison, Paul Demont, Michel Zink et moi-même – soit trois écrivains, trois personnalités de l’édition et trois universitaires. Merci à tous ceux qui ont fait connaître ce concours et merci aussi aux jeunes professeurs qui sont récemment entrés au Conseil d’administration de notre association, qui se sont investis généreusement dans ce projet. Sans eux rien n’eût été possible !

Hélas ! Les textes qu’on nous annonçait pour la réforme du collège viennent de sortir et l’heure n’est plus à l’optimisme mais, plus que jamais, au combat. Car dans la tourmente actuelle les sujets d’inquiétude ne manquent pas. Alors même que les effectifs des jeunes latinistes et hellénistes sont en progression, avec un peu plus de cinq cent mille élèves inscrits à la rentrée 2014, c’est l’existence même de nos disciplines qui est aujourd’hui menacée… dernier coup porté à nos études.

Permettez-moi un bref rappel de nos actions au cours des mois écoulés. Je vous avais rendu compte l’an dernier de l’audience que nous avait accordée au Ministère le nouveau conseiller technique Agathe Cagé. Le ministre était alors M. Peillon. Sur les conseils d’Agathe Cagé nous avions écrit à M. Boissinot, alors président du Conseil supérieur des programmes (CSP) pour solliciter une audience. Il ne nous a jamais répondu : cet ancien professeur de Lettres en CPGE au lycée Louis le Grand , fin connaisseur des textes littéraires, n’a pas cessé de manifester son hostilité aux langues anciennes dans les diverses fonctions administratives qu’il a occupées, sans qu’on sache bien pourquoi. En conflit avec certains membres du CSP, M. Boissinot a bientôt démissionné et nous avons demandé audience à son successeur dès qu’il a été connu. M. Peillon a été remplacé par M. Hamon qui, pour sa part, semblait sensible à la progression de nos effectifs et a tenu des propos encourageants sur les langues anciennes et la culture classique. Mais ce n’est qu’en février que nous avons pu rencontrer un membre du CSP, M. le Recteur Gauthier. Entre temps Mme Najat Vallaud-Belkacem avait remplacé M. Hamon.

Quelques mots sur la rencontre du 12 février dernier. Le recteur Gauthier a cherché à nous rassurer en soulignant l’indépendance du CSP ; en insistant sur le fait que les travaux de cette instance tiennent aujourd’hui compte de l’échec de la mise en oeuvre du précédent “socle de connaissances” ; en annonçant que c’en était fini du “livret de compétences” et que, pour l’évaluation, on renonçait désormais aux “moyennes” qui permettaient de compenser une matière par une autre, en prévoyant une évaluation par niveau pour chaque matière. Face à nos questions, M. Gauthier s’est montré plus évasif, indiquant que le CSP n’est pas chargé du détail des programmes mais de la charte des programmes, c’est à dire du fameux socle désormais formé de 8 blocs :1. langue française, 2. langues vivantes étrangères, 3. langages scientifiques, 4. langages des arts et du corps, 5. méthodologie, 6. formation de la personne et du citoyen, 7. systèmes naturels et techniques, 8. représentation du monde et des activités humaines. Les programmes des différents cycles sont élaborés par d’autres groupes puis soumis au CSP pour “relecture et lissage” (sic !) avant d’être envoyés à la DGESCO qui fait une synthèse et renvoie au CSP. Il ressort de ces propos que les langues anciennes – dont chacun se plait à reconnaître “l’apport fondamental” (sic) ne garderont leur statut d’option que là où les équipes pédagogiques des établissements le décideront. Face à cette situation nous avons demandé que chaque établissement dispose d’au moins 1 professeur de Lettres classiques patenté et que l’enseignement du latin et du grec soit offert partout. Et nous avons rappelé la nécessité de revoir sans tarder la formation des professeurs de lettres classiques, avec l’obligation d’une épreuve de langue ancienne à l’écrit comme à l’oral du CAPES. M. Gauthier, nous rappelant que la DGESCO décide de l’organisation précise (horaires en particulier) des enseignements au collège, nous a invités à nous faire entendre du Ministère auquel nous avons aussitôt écrit pour demander audience.

Nous en étions là quand, le 28 février se sont tenus à la Sorbonne les premiers “États généraux” de l’Antiquité. Guillemette Mérot y a assisté et j’ai participé à l’une des trois tables rondes qui se sont succédé : la première, animée par Maurice Sartre, traitait de la formation des élèves et des futurs professeurs. Jean-Michel Jeanneney présidait la table-ronde traitant de la culture et E. Laurentin animait la troisième, centrée sur la recherche. Cette journée consensuelle, réunissant philologues, archéologues et historiens passionnés par leurs travaux dans un amphithéâtre Richelieu qui ne désemplissait pas, incitait à l’optimisme…

Las!!! Quelques jours plus tard paraissaient les textes d’orientation sur la réforme du collège et nous découvrions que nos disciplines n’existaient plus et étaient réduites au rang d’enseignement pratique interdisciplinaire (EPI). Les collègues de toutes disciplines étaient désormais invités à faire découvrir la valeur culturelle du latin et du grec en mentionnant l’étymologie des termes dont ils usent – république (= res publica), mathématique (= mathèma + suffixe ikos), gymnastique, politique, logorrhée, etc.)

L’émoi depuis est général. Le Figaro, L’Express, Libération ont publié plusieurs contributions intéressantes dont vous trouverez les coordonnées sur le site de SEL. Plusieurs pétitions sont lancées, auxquelles SEL s’associe naturellement, et une conférence de presse est prévue le 8 avril à la Sorbonne. Ces réactions nous ont valu d’obtenir immédiatement un rendez-vous avec Agathe Cagé, toujours conseiller technique au Ministère. L’entrevue est prévue pour le 31 mars. Nous ne manquerons pas de renouveler nos demandes argumentées et de suggérer, pour en finir avec ces perpétuels problèmes d’horaires et de statut, d’accorder aux langues anciennes – comme le fait l’Allemagne sans s’en trouver mal ! -, le statut de langue 2.

Que conclure de ces péripéties ? Que depuis 30 ans nous répétons les mêmes choses sans être entendus. L’Éducation nationale joue sans discontinuer les pompiers pyromanes et s’épuise (et nous épuise !) à tenter de remédier par de nouvelles réformes aux maux créés par les réformes précédentes. C’est ainsi qu’au nom d’une égalité sans cesse proclamée on est parvenu à créer le système le plus inégalitaire qui soit. Une publication canadienne présentait pourtant dès 2005 la synthèse des études faites pour mesurer l’efficacité réelle des diverses approches pédagogiques. Son titre était sans mystère : Échec scolaire et réforme éducative. Quand les solutions proposées sont la source du problème. Nous en sommes toujours là. Il y était démontré que la méthode analytique est la plus efficace pour apprendre à lire et que les démarches d’enseignement explicites, faisant appel à l’imitation, favorisent l’acquisition du savoir pour toutes les catégories d’élèves. Aristote l’affirmait déjà mais nos édiles tiennent à l’oublier.

Permettez-moi, avant de laisser la parole aux autres orateurs, de vous donner lecture du témoignage récent de jeunes professeurs : il témoigne des difficultés que rencontre aujourd’hui notre métier mais aussi de l’intérêt que suscitent nos disciplines et sont donc pour nous un nouvel encouragement à les défendre :

'L’ambiance est morose au lycée avec le contenu de la réforme des collèges … Depuis quatre ans, nous (les 4 professeurs de lettres classiques) avons vraiment multiplié les démarches pour accroître nos effectifs en latin et en grec : visite systématique des collèges de notre secteur avec intervention des élèves latinistes et hellénistes de seconde, animation pour les langues anciennes lors des portes ouvertes du lycée avec témoignages de nos élèves, organisation d’une sortie conjointe avec le collège du centre-ville pour visiter les Antiquités romaines du Musée, organisation d’un voyage annuel des latinistes et hellénistes (avec actions diverses pour contribuer au financement)… Et tous ces efforts ont été récompensés, surtout pour le grec : de 4 élèves par niveau nous sommes arrivés à 24 élèves cette année en seconde, du 'jamais vu' au lycée ! Or avec ce qui risque de se mettre en place dans les collèges nous sentons bien que nous risquons de tout perdre. L’évolution de l’enseignement fait peur. Je viens de lire les Déshérités de François Xavier Bellamy et ne peux que constater que ce qu’il décrit est exactement ce que nous observons au lycée : nous ne devons plus transmettre aux élèves un savoir, mais un savoir-faire. Nos heures d’enseignement disparaissent au profit d’heures d’accompagnement personnalisé – avec 28 élèves qui ne sont pas nos élèves mais ceux de collègues issus de 4 ou 5 classes différentes, dont la liste change toutes les 6 semaines – heures durant lesquelles il est bien difficile d’intéresser les groupes… et je découvre que la même perspective s’ouvre au collège…'

Enfin, je me permets de vous signaler le nouveau portail 'la vie des classiques' créé par les Éditions des belles Lettres, auquel collabore notre Président d’honneur Paul Demont. Vous y trouverez un entretien avec le professeur Nuccio Ordine, à l’occasion de la sortie de son ouvrage L’utilité de l’inutile, vibrante défense de la culture classique et du contact avec les grands textes.

Oui, la culture classique mérite que l’on se batte pour que les jeunes générations puissent continuer à s’en nourrir, pour l’avenir! Il n’est pas de meilleur antidote à la langue de bois que diffusent les médias ou au jargon daté de certains pédagogues ! C’est ainsi que l’élève peut se libérer des slogans, des discours tout faits, former son esprit critique et s’exercer à la liberté de la pensée. Nombre des textes de nouvelles que nous avons reçus en témoignent : certains sont comme une respiration qui permet de tenir à distance les problèmes du monde contemporain. Et le monde scientifique partage majoritairement la même conviction. Pour vous en convaincre permettez-moi de vous lire quelques lignes du texte que Jacques Blamont, l’un des pères de la fusée Ariane, m’avait fait l’amitié de nous donner en 2000 pour le recueil patronné par Jacqueline de Romilly et Jean-Pierre Vernant. Il y évoquait sa classe de première au lycée de Montpellier, au cours de l’hiver 1941-1942. Cette année là, le professeur de Français-latin-grec, Jean Solier, avait mis au programme l’Apologie de Socrate, l’Antigone de Sophocle et la Première Philippique de Démosthène. 'Ces trois oeuvres, écrivait Blamont, dont l’explication était apparemment dominée par l’étude du vocabulaire et de la syntaxe, du style, se transformaient en leçons de civisme et d’éthique… Des voix d’airain traversaient les siècles pour nous enseigner la grandeur et la noblesse que l’homme se doit d’atteindre. Depuis ce temps je n’ai pas souvent regardé de texte grec, avouait-il, mais les idées que j’ai absorbées au cours de cette classe de première ne m’ont jamais quitté… Si j’ai pu mener à bien une œuvre qui, je l’espère s’inscrit dans la durée, je le dois à la force d’âme puisée dans l’exemple vivant de Socrate, Sophocle ou Démosthène. /…/ Ayant consacré l’essentiel de mes efforts à l’exploration planétaire, je puis affirmer qu’à la lumière grecque ces travaux prométhéens m’apparaissent comme le triomphe de la raison sur la nature, de la cité sur les velléités, de l’ordre sur le chaos, de l’homme total sur lui-même.' Pour défendre ce trésor, pour l’avenir de notre jeunesse, forts de votre soutien nous poursuivrons le combat. Haut les cœurs ! Bon courage à tous et merci.