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<div id='slidertitre'><h1 title='Actualité : Clôture du concours de nouvelles 2024'>Actualité : Clôture du concours de nouvelles 2024</h1></div><div id='slidertexte'>Date : 2024-03-18<p>Le jury lira vos nouvelles dans les semaines à venir. Le palmarès sera publié ici et les lauréats recevront un message. <br/>La remise des prix aura lieu vendredi 7 juin. </p></div><a href='actualite?id=154' id='lirelasuite'>Lire la suite</a><div id='slidertitre'><h1 title='Actualité : Parution'>Actualité : Parution</h1></div><div id='slidertexte'>Date : 2023-12-19<p>Nous signalons à nos membres la parution d'un ouvrage qui pourrait les intéresser : l'édition critique de <em>La Vie immobile</em> de Costis Palamas (<em>Patries, Les Sonnets, Le Retour</em>), avec des notes, des commentaires et une présentation générale de l’auteur et de son œuvre, 10 janvier prochain, aux éditions Classiques Garnier. <br/>Il y est question de l’Antiquité, bien sûr (Homère, Alcée, Euripide, l’Acropole…), mais aussi de la France et de la Grèce moderne, en particulier de la longue guerre d’indépendance contre l’Empire ottoman : la famille de Palamas était originaire de Missolonghi.<br/><img src=&quot;images/images/70.jpg&quot; class=&quot;moitie&quot;/></p></div><a href='actualite?id=153' id='lirelasuite'>Lire la suite</a><div id='slidertitre'><h1 title='Actualité : ARTE '>Actualité : ARTE </h1></div><div id='slidertexte'>Date : 2023-11-14<p>Nous signalons à nos membres qu’il est possible de regarder en replay sur Arte l'émission consacrée à <a href=&quot;https://www.arte.tv/fr/videos/111660-000-A/artemis-le-temple-perdu/&quot;><strong>Artémis, le temple perdu</strong></a>, où les découvertes de Denis Knoepfler (épigraphiste et spécialiste de la Grèce antique, membre de l'AIBL) en Eubée et leurs conséquences sont remarquablement présentées. </p></div><a href='actualite?id=152' id='lirelasuite'>Lire la suite</a>

Actualités

2023/05/15 - Les voyages de l'année !

Quelques retours en photo des élèves et de leurs enseignants : SEL est très heureuse d'avoir permis à ces classes de partir à la découverte de l'Antiquité cette année ! Bravo aux professeurs qui font vivre tout cela à leurs élèves et merci pour les cartes postales ! De la Normandie romaine à la Crète en passant par l'Italie et la Provence, voici quelques images venues d'Alsace, de Rhône-Alpes, de région parisienne et des Pays de la Loire !




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2023/05/15 - Résultats du Concours de la Nouvelle

La remise des prix de notre concours de nouvelles a eu lieu VENDREDI 2 JUIN à l'INSTITUT (Académie des Inscriptions et Belles Lettres). Retrouvez les lauréats en image sur la page Concours, ainsi que le texte de leurs nouvelles.
Nous remercions tous les professeurs qui ont inscrit leurs élèves et tous les candidats pour leur nouvelle : nous espérons que certains retenteront leur chance l'an prochain et que d'autres n'hésiteront pas à les rejoindre !

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2023/02/19 - Assemblée générale 2023 - REPORT

Notre Assemblée générale, initialement prévue le samedi 1er avril à Paris, a dû être annulée en raison du contexte social. Nous présentons nos excuses à nos adhérents.
Nous vous tiendrons informés de la date et du lieu du report.

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2023/01/23 - Festival des langues classiques

Nous vous informons de la tenue à Versailles le week-end des 3 et 4 février du Festival des Langues classiques, avec de nombreux événements et activités pour les petits et les plus grands.

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2022/10/21 - Concours !

Le concours de nouvelles Jacqueline de Romilly est ouvert pour l'édition 2023. Plus de renseignements sur la page dédiée.
Par ailleurs, nous relayons plusieurs autres concours pensés pour les collégiens, les lycéens et/ou les étudiants :
- pour les latinistes de 4e, le concours du Calame d'or ;
- pour les lycéens et les étudiants, le concours CICERO, qui s'agrémente cette année d'une option version grecque ;
- le Défi Langue Française, de l'association Du Bellay, pour les spécialistes de l'orthographe ;
- les activités du Festival Européen Latin Grec, mettant l'Enéide à l'honneur ;
- les concours menés par les différentes sections de la CNARELA, par exemple le concours Clic Antik de l'ARELAD ;
- le concours ABECEDARIVM de l'association Arrête ton char ;
- et enfin, n'oubliez pas les extraordinaires activités de l'association Journées Découvrir l'Antiquité, à l'ENS Ulm et hors les murs !
A vous de jouer avec l'antiquité !

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2022/05/18 - Palmarès du concours de nouvelles 2022

Le jury a livré son verdict pour le concours de nouvelles Jacqueline de Romilly, édition 2022.
Sont récompensés :
Catégorie Enseignement secondaire
1er prix : Salomé Frisch, lycée Racine, Paris, pour "De pierre"
2e prix : Victor Lecompte, lycée Paul-Louis Courier, Tours, pour "Le papyrus de Syracuse"
Des accessits ont été attribués à :
Rowane Perrin Dolique, lycée Jacques Prévert, Sanevay, pour "A une condition"
Sofia Ben Naceur - Beaud, lycée Thiers, Marseille, pour "#Narcisse"
Une mention est réservée à :
Claire Plantier, lycée Descartes, Tours, pour "L'ode à l'aimée"
Catégorie Enseignement supérieur
1er prix : Chiara Lombardi, Université Paris Nanterre, pour "Tranche de vie"
2e prix : Candice Fiot, lycée Camille Jullian, Bordeaux, pour "Le Macguffin de l'Immortel"
Des accessits ont été attribués à :
Anne Coudé, lycée Notre-Dame-de-la-paix, Lille, pour "Furor"
Livia Meurisse, lycée Notre-Dame-de-la-paix, Lille, pour "Une mort humaine"
Emma Procureur, lycée Berthollet, Annecy, pour "De ciel et d'encre"
Un message personnel a été envoyé à chaque lauréat et à son professeur pour la cérémonie de remise des prix, le 10 juin à l'Institut.
Le jury félicite chaleureusement tous les participants et se réjouit de la tenue de ce concours.

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2022/04/03 - Concours de nouvelles 2022

Les nouvelles sont actuellement lues attentivement : le jury délibèrera autour du 15 mai pour définir le palmarès. Dès qu'il sera connu, il sera diffusé sur notre site et les lauréats (ainsi que leur professeur) seront prévenus par mail. La remise des prix aura lieu à Paris, à l'Institut, quai Conti, soit le vendredi 10 juin 2022, soit le vendredi 1er juillet 2022. Dès que la date sera déterminée, nous vous la communiquerons.

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2022/02/07 - Assemblée générale 2022

Notre assemblée générale a eu lieu le samedi 2 avril en Sorbonne. A cette occasion, le Conseil d'administration a été renouvelé et un nouveau bureau a été élu. L'association a donc un nouveau président : il s'agit de Marc Baratin, à qui Monique Trédé cède le flambeau. C'est ici l'occasion pour nous de remercier notre présidente pour son travail et son rire communicatif ! Le bilan de l'année 2021-2022 sera envoyé en fin d'année civile.
A la suite de notre AG, nous avons eu la chance d'écouter Paul Demont (professeur de langue et littérature grecques à l'université Paris-Sorbonne, président d'honneur de notre association) sur "Ajax/Aïas de Sophocle, soldat perdu et héros tragique", à l'occasion de la sortie de la nouvelle édition de la pièce de Sophocle aux Belles Lettres. Le texte de sa communication sera bientôt disponible sur notre site.
Vous pouvez d'ores et déjà lire l'entretien accordé par Paul Demont à La Vie des Classiques.
Nous fêterons les 30 ans de l'association, fondée par Jacqueline de Romilly, dont les principes sont toujours d'actualité, le jour de la remise des prix du Concours de nouvelles le 10 juin ou le 1er juillet (date encore à déterminer) à l'Institut. Les adhérents seront chaleureusement conviés à un cocktail.

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2021/11/14 - Texte des nouvelles primées au concours J. de Romilly (édition 2020)

Avec un an de retard en raison de la pandémie de Covid-19, nous avons récompensé les lauréats de l'édition 2020 de notre concours de nouvelles en même temps que ceux de l'édition 2021 et nous publions ici le texte des meilleurs d'entre eux, en les remerciant pour leur patience !
Catégorie Enseignement supérieur
1er prix : Lilou Marbais, Lycée Poincaré, Nancy
Titre de la nouvelle : Anonyme
Les corps jonchaient la plaine, les eaux bouillonnantes du Simoïs se gorgeaient de sang. Si les dieux avaient daigné jeter un dernier coup d’œil en contrebas, tandis qu’ils remontaient vers l’Olympe, armes étincelantes au poing, rassénérés par la promesse d’un long festin, propre à effacer l’éphémère passion que suscitait chez eux la manipulation de leurs jouets favoris, ces si frêles mortels, ils n’auraient vu qu’un lointain amas noir, égayé d’un ruban rouge.
Les corbeaux, eux, descendaient à toute allure, se promettant eux aussi d’appétissantes réjouissances.
Si les héros avaient daigné jeter un dernier coup d’œil en arrière, tandis qu’ils rentraient au camp sur leurs chars flamboyants, armures dégoulinantes du sang illustre de leurs congénères, ce sang qu’épaississait la promesse d’un destin extraordinaire et qui distinguait cette race à part dans l’humanité, la race chantée par les poètes, ils n’auraient vu qu’un camaïeu de teintes sombres et de bronze. Derrière eux, la horde des fantassins survivants clopinait péniblement. Eux n’avaient pas même le luxe de se retourner ; il fallait rentrer le plus vite possible, avant que les blessés qu’on soutenait ou qu’on traînait n’exhalent un dernier râle.
Mais eux gardaient tout en mémoire. Le sol irrigué par le sang séché. Les hampes de lances brisées qui se dressaient fièrement, comme autant de poings vengeurs. Les cuirasses qui réfléchissaient la lumière sanguinolente du soleil couchant, et dissimulaient le vermeil des plaies. Les cadavres enfin, disloqués, entremêlés, abandonnés. On reviendrait leur rendre les derniers honneurs à la faveur de la nuit, lorsque l’urgence et le dégoût des fins de bataille se seraient dissipés. Mais pour l’heure, personne ne venait leur murmurer un mot d’adieu, prononcer une dernière fois leur nom. Seuls les corps princiers avaient déjà été recueillis, pour que tout le monde voie leurs glorieuses dépouilles flamboyer sur les ardents bûchers.
Les simples soldats, peu importait qu’on ne puisse plus les reconnaître. Peu importait que personne ne puisse mettre un mot sur leurs visages ravagés, leurs crânes éclatés, leurs entrailles répandues. Peu importait que personne ne se souvienne de qui ils étaient. Qu’avaient-ils fait, après tout ? Rien de plus, rien de moins que les autres : se battre pour exister. Sur terre ou, avec un peu de chance, si leurs faits d’armes étaient assez remarquables, dans les épopées et les mémoires. C’était la promesse qui compensait les rudesses de la guerre : la belle mort.
Mais ce qu’ils ignoraient, ou feignaient d’ignorer, c’était que les dés étaient pipés. Les Muses ne sélectionnaient que les noms de digne lignée. Et leurs autres demeuraient à jamais les muets, ombres entre les vers, les anonymes. Condamnés à être oubliés.
Lui faisait partie de ces innombrables soldats qui n’accéderaient pas même aux catalogues de héros homériques. Pas même une mention au détour d’un vers. Il était un anonyme, qui boitillait sur le sol rocailleux, soutenu par un camarade et un débris de lance. Il avait perdu son bouclier. Sur ses épaules, sa cuirasse pesait bien lourd. La douleur irradiait à chaque pas dans sa jambe blessée.
Il était un anonyme, qui pourrait remercier les dieux de l’avoir épargné un jour de plus. Qui pourrait espérer, demain encore, rentrer un jour dans sa contrée, ou au moins avoir une belle mort, pour que, là-bas, au pays, on puisse trouver quelque consolation dans le récit de ses hauts-faits. Il était un anonyme chanceux, pour l’instant. La mort infamante, dans l’indifférence générale, l’ultime et honteuse tentative de fuite, le râle terrifié et surpris, tout cela n’était pas encore pour lui.
Mais lui, il avait la rage au cœur. Lui ne murmurerait aux dieux aucune parole de gratitude soulagée, lorsqu’il irait se coucher. Lui veillerait toute la nuit, le visage fermé, immobile et silencieux, une statue de sel.
Chacun de ses pas était une nouvelle torture, mais chacun de ses souffles était une souffrance indicible, une nouvelle épine enfoncée dans son cœur. Chacune de ses respirations était une nouvelle occasion de se souvenir. Il essayait de repousser ces assauts, mais rien n’y faisait. Son esprit était enchaîné au fil des dernières heures, et le vautour de la mémoire revenait inlassablement s’abattre sur lui.
Le matin, à l’aube, derniers préparatifs avant le combat. Aiguiser une dernière fois ses armes, ajuster les pièces des cuirasses. Face à l’imminence du péril, les attitudes divergeaient : se taire, s’isoler, se laisser envahir tout entier par la perspective du combat à venir ; ou bien faire comme si de rien n’était. Lui était de ceux-là. Il ne fallait pas se leurrer, sa gorge se serrait comme celle des autres, chacun de ses gestes se paraît d’un halo d’appréhension, mais il refusait de céder à l’appel de la mort, il aurait bien assez le temps de la regarder en face. Alors il plaisantait avec son meilleur ami de toujours, échangeant les mêmes boutades qu’à l’ordinaire, se chamaillant comme deux enfants. Ils avaient grandi ensemble, deux maisons voisines, les pères entretenaient de bonnes relations, les mères se rendaient entre elles de menus services ; l’histoire ordinaire, en somme. Les longs après-midis de jeu sur le chemin poussiéreux devant leurs habitations, c’était ensemble qu’ils les avaient connus ; ensemble, les bêtises idiotes, les premiers apprentissages du travail et de la vie ; ensemble, les premières idylles, les premiers rêves, qu’on se confiait sous les rameaux de l’olivier, dans le secret d’une nuit claire et chaude. Ensemble aussi, les premières désillusions, les premiers désaveux, les premières expériences de l’amertume de la vie. Les premières joies, les premières peines, les premiers amours, ils avaient tout vécu ensemble.
Ils avaient joué ensemble à la guerre, et à présent, ensemble ils la faisaient.
Au fond, c’étaient deux enfants grandis trop vite, deux garçons à peine sortis de l’adolescence, que les querelles des puissants avaient projetés dans le tourbillon effréné des luttes et des conquêtes. Ils savaient à peine pourquoi ils combattaient ; on parlait de la belle Hélène enlevée, de Ménélas trompé au sein même de son palais, des rumeurs et des histoires fantasmées courraient le soir, au coin du feu, mais ils ne savaient guère pourquoi leur roi, Ulysse, s’était déplacé aussi jusqu’aux lointains rivages de Troie. Tout cela ne les concernait guère, du reste ; finalement, la trame qui tisserait les gestes épiques avait même moins de valeur à leurs yeux que les chants des aèdes qu’ils écoutaient chez eux. Elle était trop réelle, et elle leur coûtait trop. Les deux jeunes gens, malgré leurs bravades de jeunes coqs avant le combat, ne pouvaient s’empêcher de ressentir une certaine colère. Certes, on leur offrait ainsi une occasion unique de ne pas se contenter de la morne vie commune, à trimer des saisons entières sur terre avant de partir, juste pour un nom fugacement gravé dans une poignée de mémoires, et une éternité à errer dans le champ des Asphodèles. On leur donnait l’occasion de se distinguer, de revenir en héros, ou au moins de rehausser leur nom par l’éclat d’une belle mort. C’était pour ça qu’on les avait poussés à partir. C’était pour ça qu’ils avaient accepté, malgré leurs réticences initiales.
- Tu regrettes, toi ? lui avait un jour chuchoté son meilleur ami.
- Je ne sais pas.
Car le lot des anonymes, malgré l’amertume et les regrets, la peur et le mal du pays, était encore et toujours d’espérer.
Aujourd’hui, le combat avait commencé comme à l’ordinaire, dans le fracas des armes entrechoquées, les vociférations proférées pour s’encourager ou se provoquer, le tumulte exaltant et effrayant de la bataille. Comme d’habitude, les deux amis combattaient côte à côte, et coordonnaient insensiblement leurs gestes. Comme la plupart des soldats d’Ithaque, ils s’étaient plus destinés à élever les chèvres qu’à combattre, et n’avaient reçu qu’une instruction militaire sommaire ; mais ils se défendaient bien, la fougue de la jeunesse compensait le manque de maîtrise.
Pendant le combat, il se remémorait un jour, lointain déjà, perdu dans les brumes de sa vie d’avant, sa vie à Ithaque. Ils étaient partis ensemble garder les troupeaux familiaux. Leurs chèvres vagabondaient sur les flancs escarpés des collines de l’île, et eux marchaient tranquillement, s’aidant de leurs bâtons. Ils se taisaient, pris dans ce silence confortable qu’on ne connaît qu’avec les personnes de grande confiance.
Ils s’étaient assis sous un olivier, avaient sorti le pain et le fromage qui constitueraient leur repas, et avaient regardé leurs animaux gambader. C’étaient de bonnes bêtes, bien dressées, qui malgré l’appel de la liberté ne s’éloignaient jamais vraiment.
Ils avaient parlé de tout et de rien, de la pluie et du beau temps, du mariage prochain du neveu du voisin, et de leur ami qui fréquentait une fille de la ville, avait-il ses chances ? Ce n’était rien de plus que du badinage, et derrière tous ces mots apparemment si négligeables, pesait le poids de tous les non-dits.
Son meilleur ami avait sorti une outre remplie de vin coupé d’eau. Sous la chaleur pesante du début d’après-midi et les assauts incessants du soleil, ils se sentaient grisés, les propos se faisaient plus décousus, s’osaient plus grivois. Derrière affleurait pourtant l’inquiétude ; pourquoi étaient-ils incapables d’envisager de faire comme leurs camarades, alors qu’ils ressentaient profondément en leur chair, l’éternelle préoccupation, l’éternelle crainte, l’éternel rêve, celle d’une idylle digne des héros et des rois, des amants unis pour l’éternité au sein des constellations ?
C’était lui qui le premier s’était penché, insensiblement d’abord, puis plus franchement. Leurs lèvres s’étaient jointes, elles avaient un goût de miel, un goût de vie.
Or, la bataille, si ordinaire, avait brusquement changé de cours lorsque, pour la première fois, la piétaille troyenne, des anonymes comme eux, s’était fendue pour livrer passage à une armure rutilante, richement ornée, une armure de héros. Jamais ils n’en avaient vu de si près, à quelques fantassins de distance, pris d’une frénésie guerrière. D’habitude, ils n’affrontaient que des soldats ordinaires.
Les guerriers ennemis acclamaient, à présent. Hector. Le nom déjà mythique était martelé à leurs oreilles, inlassablement, tandis que le héros enfonçait les lignes grecques.
Dans leurs dos ruissela une sueur froide. Son compagnon flancha. Sa main tremblante lâcha son arme.
Le tourbillon meurtrier fonçait sur eux, à présent. Il ne restait plus que la fuite, honteuse mais salvatrice. Tourner le dos, réflexe immédiat, létal pourtant. Le coup lui perça la jambe, il s’effondra, se recroquevilla. Eviter les piétinements de la masse des guerriers, se traîner plus loin, à l’abri du cadavre d’un char démantelé, survivre, survivre à tout prix.
Ses yeux avaient eu le temps de saisir au vol la fatale scène.
Le second coup porté par Hector. Dans sa rage guerrière, il ne calculait rien, frappait au hasard pour abattre le plus grand nombre d’ennemis possible, se moquait d’achever tous ces adversaires de peu de prestige. Il fallait juste qu’ils tombent.
Et son meilleur ami était tombé aussi. Un jet de sang. La jugulaire. Le corps qui s’abat.
Le monde qui s’écroule.
S’il retrouvait sa dépouille, perdue quelque part sur le champ de bataille, il ferait en sorte de l’honorer comme il le méritait. Il parlerait. Il raconterait. Car le nom du défunt ne parviendrait pas jusqu’aux lèvres des aèdes, sa lignée n’était pas digne d’être chantée, pas plus que sa mort. Son histoire, leur histoire, n’était pas glorieuse… mais elle aurait pu être longue et belle.
S’ils n’avaient pas été que des anonymes, pris dans une guerre qui ne les concernait pas.
« Pourquoi donc as-tu commencé par le mot colère ? »
Voici ce qu’Homère aurait dû répondre à Lucien : « parce que la guerre est le lieu de toutes les colères, en particulier de celles que je n’ai pas chantées.
Les colères des anonymes. »
2e prix : Cécile Jayr, Lycée Bertran de Born, Périgueux
Titre de la nouvelle : Pénélope endormie
L'aurore envahissait par sa lumière l'atelier de Cavelier, logé à la villa Médicis. Rome sommeillait encore, bercée par les souvenirs de son passé antique. Au mont Pincio, seuls résonnaient les glissements du rifloir sur le marbre. Ce matin-là, Cavelier travaillait ardemment. Tous ses membres, toute son attention se portaient sur son œuvre : une femme grecque.
Il souhaitait la recréer, donner à nouveau un air de vie à cette reine d'Ithaque. Cavelier n'avait pas l'audace de la créer. Homère l'avait précédé et il le savait. C'était d'ailleurs dans les pages jaunies de l'Odyssée qu'il avait découvert cet archétype féminin. Pénélope l'avait envoûté. Depuis, des moments de spéculation et d'évasion ravissaient son esprit et l'emmenaient sur l'île d'Ithaque, aux confins de la mer Ionienne. Le monde grec était alors enveloppé des douceurs nocturnes. Et en un somptueux palais, il contemplait Pénélope ôter un à un les fils de laine et de soie. C'est à peine si elle les effleurait de ses blanches mains. Elle tissait le linceul de son beau-père Laërte le jour et l'effilait la nuit venue. Elle trônait en majesté, dotée d'une allure de reine. Elle n'avait rien à envier aux déesses de l'Olympe. Sa grâce céleste égalait celle de la jalouse Artémis. Cavelier avait conçu en secret le projet de reproduire la Pénélope d'Homère. Il souriait à l'idée de la doter d'un support de marbre, elle qui jusque-là reposait sur des papyrus, des parchemins et des pages jaunies. Son fantasme peu à peu prenait forme et devenait réalité. A l'image du poète archaïque, il souhaitait lui donner un air de vie. Pour cela, le sculpteur avait tout choisi. Le marbre, par sa transluminescence, offrait un semblant de peau humaine, et sa transparence donnait à la sculpture une profondeur visuelle au-delà de sa surface, lui conférant ainsi un certain réalisme. La technique en ronde-bosse achevait de participer à un semblant d'être humain. Même les instruments du sculpteur jouaient le jeu : les glissements du rifloir semblaient scander les beaux titres de ce personnage homérique. Son œuvre achevée semblait vivante. Et, de ses doigts, Pénélope dénouait les fils. Droite et gracieuse, son regard se portait sur sa tapisserie. Elle était seule en éveil à cette heure de la nuit.
Les clochers de l'église de la Trinité des Monts retentirent, ils marquaient les sept heures et tirèrent le sculpteur de ses rêveries.
« D'un instant à l'autre, il sera là... » murmura Cavelier, les yeux toujours rivés sur sa création. En effet son maître, David d'Angers, sérieux, rigoureux, et ponctuel viendrait ce matin-là juger ses travaux. Et il verrait l'œuvre achevée. Tout était prêt pour l'accueillir. Cavelier, la joie au cœur et la fierté au front s’apprêtait à lui ouvrir la porte de l'atelier après avoir rangé ses outils. Mais à peine saisit-il sa pochette en cuir d'agneau dans laquelle il conservait soigneusement son vieux rifloir, ses râpes et sa gradine, emportés de Paris quelques mois plus tôt, qu'il se retourna vivement. Sa serviette chuta.
Qui était donc entré ? Personne. Les yeux de Cavelier percevaient-ils quelque chose ? Non, rien. Mais pourtant ses sens ne le trompaient pas, il entendait un souffle humain, léger et presque imperceptible. Cavelier resta suspendu à ces murmures, sans oser bouger. Soudain un bruit résonna sur le sol : une quenouille garnie d'un fin lainage et dont le manche était d'or venait de tomber à terre. Le son de la chute fut secondé immédiatement par une voix mélodieuse mais où la tristesse avait fait son logis.
« Cessez mes doigts, cessez cette ruse. Seulement un instant, un court instant, un simple instant, puis-je évoquer mon bonheur passé ? Ce bonheur, que depuis vingt longues années je ne cesse de pleurer.
Mais toi, jeune homme à la mine aimable, qui es-tu ? Ton attitude ne révèle en rien un prétendant. »
Cavelier se retourna, elle était là devant lui. Jamais il n'aurait pu décrire cette grâce céleste. Il la regarda, ses lèvres se mouvaient péniblement, mais aucun mot ne pouvait en sortir. Alors il lui sourit, d'un sourire plein de respect et d'admiration. Ce sourire plut à Pénélope. En un regard, une confiance s'était établie entre eux. C'est pourquoi la langue de la reine se délia :
« Le roi de Sparte, Icarios, et la reine Périboeia me donnèrent le souffle de la vie. C'est donc dans leur palais que je grandis, heureuse et épanouie. Mon enfance fut douce, tintée de chants et de rires. J'aimais les grandes fêtes que mon père donnait lors des courses de chevaux, domaine dans lequel il était, parmi tout le peuple achéen, le champion. En ces temps-là, moutons rôtis, veaux au miel, figues fraîches et vins à la couleur de pourpre couvraient les tables. Et moi, n'étant que joie et gaieté, dansait autour de ces messiers cuirassés et de ces dames de soie vêtues. Infantile et innocente, je les charmais sans le vouloir. De mon passage se dégageait un parfum, aux doux aromates, dont ma nourrice le matin imbibait mes tempes. Cet élixir fut sûrement la cause de mon involontaire séduction. Car bien vite le désir de m'épouser en saisit plus d'un. Mais mon père ne céda pas face au premier quémandeur. En témoignage de son amour paternel, il souhaitait m'accorder au plus méritant. Ainsi il obligea mes prétendants de jadis, tous princes grecs possédant mille richesses, à disputer ma possession dans des jeux donnés par lui-même. Soucieuse de mon sort, j'assistais à la scène le souffle suspendu. Ulysse fut le vainqueur. Il m'emmena au palais d'Ithaque. Entre ces murs, peu de temps après, je donnai naissance à notre fils que son père baptisa du doux nom de Télémaque, ma douce lumière. Mais les dieux ne semblaient pas supporter mon bonheur. Ils décidèrent de la guerre de Troie où Ulysse partit combattre. Sculpteur, tu me regardes, et je devine tes pensées. Tu me penses venue d'un autre monde, d'une autre époque. Les dieux n’octroient point à tous les mortels la couronne et le drapé de pourpre. Cependant, la douleur nous est commune, la douleur règne à tous les siècles, la douleur est humaine. Les dieux l'envoient et alors comme un insecte à un fruit attaché, elle s'empare de notre cœur, le ronge, le baigne de larmes et l'imprègne d'amertume. Comprends-tu mes malheurs ? Tu me sculptes tout à ma ruse. Et si chaque nuit je l'exécute c'est bien parce que je suis malheureuse. A Ulysse je désire rester fidèle, mais tout m'en empêche. Il est parti avec les fils d'Atrée, depuis plus de dix ans, vers Ilion. Hermès psychopompe aurait mené son âme chez Hadès. Voilà ce que tout mon entourage pense, et moi-même, dans un moment d'évasion où le courage m'est ôté, je m'abandonne à cette pensée. Mais je la refoule vite, car pourquoi ma douleur serait-elle si vive lorsque Ulysse, mon bien aimé, siègerait aux Champs Elysées ? Il m'a laissé dans son somptueux palais, où les prétendants accourent pour boire ses vins et engloutir ses bœufs, ses moutons et ses chèvres grasses. Ils détruisent la richesse de Télémaque, mon rayon de lune dans ces ténèbres. Un jour Ulysse reviendra, un jour il les chassera et mon bonheur avec lui me sera rendue. Séjourner dans notre palais ne suffit pas aux prétendants. Ils souhaitent qu'un hymen m'unisse avec l'un d'eux. Mais aucun n'occupera le lit partagé avec Ulysse, ce lit qu'emplissent mes sanglots et que trempent mes larmes chaque nuit depuis son départ. Pour me dérober de ceux qui prétendent au trône d'Ithaque, j'ai déclaré faire mon choix lorsque les derniers fils du linceul de Laërte seront tissés. Depuis trois années, la nuit je me lève en hâte et en sanglots pour défaire le travail du jour. Combien de temps durera mon stratagème ?
La douleur, l'attente et ce tissage sans cesse fait et défait m'exténuent. Je souhaite tomber dans les douceurs de l'assoupissement. Ah ! si seulement la chaste Artémis daignait m'envoyer à l'instant le secours de la mort ! »
La reine n'était plus à son discours, ni à son tissage, elle s'était abandonnée au sommeil. Ce dernier l'avait saisie en un instant.
Cavelier contempla Pénélope. Ses paroles imprégnaient son cœur des plus profonds et des plus doux sentiments. Assise sur son trône de chêne, elle dormait, les membres détendus, la tête renversée. Elle tenait dans la main droite son fuseau au fil déroulé. Une larme lentement et lestement glissait le long de sa joue. Cavelier s'approcha, hésita puis d'un geste précis, que la sculpture lui avait appris, recueillit la larme royale. Pure comme le cristal, c'était le témoignage de sa fidélité, de sa tristesse et de son humanité. Aussitôt Pénélope redevint de marbre.
L'entrée fracassante de David d'Angers tira Cavelier de son voyage dans l'Antiquité. Il était de retour au XIXe siècle. Comment expliquer à son maître la posture ensommeillée de son œuvre lorsque quelques instants auparavant elle se tenait droite, les fils à la main et les yeux sur son ouvrage ?
Le silence occupait tout l'atelier, le sculpteur attendait la sentence de son maître. Ce dernier contournait la statue, observait les pieds menus, les pelotes de laine, les drapés de la tunique qui habillait Pénélope. Cavelier étouffait, son cœur était son l'emprise d'un seul désir, le plus violent et le plus fou sûrement que jamais aucun homme n'eut : entendre à nouveau sa reine d'Ithaque.
« Il ne s'agit ni d'une attitude royale, ni de celle, toute divine, dont Homère semble l'avoir dotée dans l'Odyssée. Pensez-vous qu'elle laissait son épaule dénudée ? Et ses cheveux épars ? Vous en faites, jeune homme, une créature bien simple, une femme... »
Cavelier souhaitait garder son secret. Pourtant tolérer les insultes dont Pénélope était accablée lui fut impossible.
« Elle manque de majesté ? Mais pas d'humanité. Son épaule est dénudée ? Mais son amour n'est pas envolée. Ses cheveux sont épars ? Mais la tristesse de son cœur n'a laissé au bonheur aucune part. Et si elle revenait parmi nous, si par un miracle elle daignait se manifester, elle nous conterait le malheur qui l’afflige, sa douleur provoquée par le départ d'Ulysse, et sa fatigue de résister continuellement aux prétendants. Pénélope endormie, Pénélope amoureuse, Pénélope fidèle car dans son sommeil elle rejoint Ulysse dans son voyage. »
Pénélope s'était endormie et ce fut au tour du spectateur de se réveiller. Il pleuvait à Paris, c'est pourquoi il était entré dans le musée d'Orsay. Il s'était promené dans la grande salle voûtée en attendant que l'averse cesse. Bientôt, comme une hirondelle au début du printemps, les rayons du soleil annoncèrent le retour du beau temps. Pourtant le visiteur n'y prêta guère attention. Il se tenait au pied de la sculpture créée par Cavelier et dévorait Pénélope des yeux. Son esprit s'était envolé, il avait imaginé un dialogue entre le sculpteur et son œuvre. Lorsque la rêverie le rendit à la réalité, il fut envahi de réflexions. En effet, il comprenait désormais qu'un lien fort unissait l'œuvre, l'artiste et le spectateur. Car, à son tour, il avait saisi la douleur de Pénélope. L'inséparable trio, sans lequel l'art perdrait toute sa valeur, lui apparut alors dans toute sa splendeur et son importance. Pénélope, Cavelier et lui-même, homme du XXIe siècle, étaient unis par les liens sacrés de l'art. Plus que saisir toute la portée artistique, il lui semblait assister au voyage d'un mythe antique, celui de l'épouse fidèle, à travers les siècles. Homère par son épopée et Cavelier par sa sculpture participaient à la transmission de cet archétype féminin. Chacun à sa manière avait souhaité donner un souffle éternel à cette femme grecque. Devant cette sculpture, le spectateur saisissait l'immortalité de l'Antiquité. Cette dernière, malgré la succession des siècles, demeurait toujours présente. Elle était comme la mère dont l'enfant a besoin pour mesurer toute la portée de l'humanité. Et penchée sur l'homme du XXIe siècle, elle veillait sur lui. Elle ne sommeillait point, contrairement à Pénélope en larmes.
Catégorie Enseignement secondaire
1er prix : Elouan Damoy, Lycée des Flandres, Hazebrouck
Titre de la nouvelle : Les dieux, l'étoile et la science
Qu’y a-t-il de plus beau qu’un ciel étoilé ?
C’est avec cette réflexion en tête qu’Alexandre admirait la voûte céleste. Son maître, le vieil Onchos, exigeait de ses apprentis qu’ils connaissent sur le bout de leurs doigts chaque astre constellant la chevelure de Nyx, déesse de la nuit. Bien que réticent au début, le jeune homme ne pouvait se passer de l’enseignement du meilleur maître d’Atlantis.
C’est donc avec aisance qu’il reconnut les nombreuses constellations et étoiles qui le surplombaient. Il admira le Cygne puis son regard survola L’Aigle, La Lyre et Cassiopée,… et s’arrêta tout à fait sur le Dragon. Les yeux plissés, il regardait dans son τηλεαστηρ cadeau de son maître pour voir les étoiles invisibles à l’oeil humain. Il ne comprit pas immédiatement ce qui avait attiré son attention dans la constellation, qu’il avait pourtant vue mille fois. Puis il eut une illumination.
Une nouvelle lumière flamboyait dans les cheveux de la nuit.
*
Il n’était pas loin de minuit quand Alexandre avait fait sa découverte, et il se précipitait maintenant pour en faire part au plus tôt à son maître. Mais, sous le coup de l’excitation, il avait oublié que celui-ci habitait presque à l’opposé des collines, et cela faisait bientôt deux heures qu’il peinait, courant vers la demeure de son maître, suivi par son fidèle esclave Arctos. Bien que tout atlante respectable ait un corps en bonne forme, courir ainsi dans le noir était épuisant.
Le jeune homme avait déjà dépassé les grandes plantations d’oliviers et les collines d’où il regardait les étoiles, et il passait maintenant les grandes murailles d’orichalque, métal précieux entre tous, dont le secret était gardé par les forgerons atlantes.
Une fois entré dans la cité d’Atlas, joyau d’Atlantis, l’élève dut courir encore une quinzaine de minutes avant d’atteindre la demeure de son maître.
Et il pensa soudain à un autre détail, d’une importance cruciale. Le maître devait dormir. Et il n’aimait pas qu’on le réveille.
Laissant esclave et affaires à l’entrée de la grande maison de pierre blanche, il envoya un serviteur chercher maître Onchos à sa place (il y avait toujours un serviteur debout, pour repousser les voleurs, accueillir les visiteurs tardifs et s’occuper du maître quand il rentrait passablement éméché).
Le climat était relativement clément. Alexandre s’assit donc dans la cour intérieure, près d’une fontaine en forme de poissons, symbole incontestable de richesse. Il regarda son reflet à la lueur des torches, et fit en sorte de cacher sa fatigue, pour paraître au mieux devant le savant.
« Que me vaut cette visite ? » grogna soudain une voix derrière lui.
Le maître, petit homme replet à la peau blanche et à l’âge avancé, se tenait juste derrière lui.
Le ton colérique n’ayant pas échappé à Alexandre, il se redressa prestement et montra sa découverte dans le ciel avant que le maître ne le rabroue sévèrement.
Après un long silence, celui-ci déclara enfin : « Une nouvelle étoile dans le ciel est un présage divin, mais je ne saurais l’interpréter ».
Il renvoya enfin Alexandre, un respect nouveau dans les yeux, associé toutefois à une grande inquiétude.
*
Le chant du coq et la rumeur matinale réveillèrent Alexandre après de maigres heures de sommeil. L’esprit encore embrumé, il allait se rendormir quand une bagarre éclata dans la chambre qu’il partageait malheureusement avec ses trois frères. Quand ses parchemins commencèrent à voler, il jugea bon d’intervenir.
Après avoir remis à leur place ses frères, il se prépara à sortir devant un lourd miroir de bronze, qui lui renvoyait l’image d’un jeune homme brun à la peau olivâtre, et à l’air fatigué. Alexandre grimaça. N’importe qui pouvait voir qu’il n’avait pas dormi, tant des cernes se dessinaient sous ses yeux verts.
Après s’être rassasié de figues, de raisin et de pain blanc, Alexandre rejoignit sur l’Agora ses camarades et amis, Oros et Chimon. Il s’étaient tous trois rencontrés chez le maître Onchos, et depuis ne se quittaient plus. Le premier était littéralement une force de la nature, sa taille excédant sept pieds, ce qui l’amenait à deux têtes au dessus de la plupart des gens, qui se montraient craintifs devant lui (sa taille n’ayant d’égale que sa carrure). De nature débonnaire et patiente, il pouvait s’absorber pendant des heures dans l’étude d’une colonie de fourmis, talent inutile mais qui lui avait valu l’admiration du maître.
Chimon, quant à lui, était un vrai tourbillon, les pensées se succédant à un rythme effréné dans sa tête, et il n’hésitait pas à dire haut et fort ce qu’il pensait – pour le malheur de ses proches, bien souvent.
À l’arrivée d’Alexandre, ils débattaient apparemment sur la théorie des quatre éléments, que Oros jugeait fantaisiste. Il plaidait en faveur de la théorie des atomes, qui expliquerait bien mieux, disait-il, le comportement de la matière.
Ils s’étaient tous les trois retrouvés pour participer aux thalassantes, fêtes en l’honneur de la mer et de son dieu, Poséidon. La cité toute entière allait être en ébullition pour trois jours, durant lesquels des sacrifices, des combats navals, des marchés et des célébrations seraient organisés. Les soldats étaient revenus de leur lointains combats pour cette fête, et ramenaient avec eux le fruit de leur conquêtes.
C’est face à ce défilé que se trouvaient les amis en ce moment.
- « Incroyable ! Vous avez vu la couleur de ces fruits ? Oh ! Vous pensez que ces esclaves sont des guerriers égyptiens ? Et vous avez vu ces armes ! Les barbares sont tellement en retard à côté de nous ! »
Chimon alimentait à lui seul la majeure partie de la conversation, ce qui convenait tout à fait aux deux autres, d’un naturel plus silencieux. Alexandre en avait presque oublié cette nouvelle étoile, et marchait dans la ville en fête sans qu’aucune nouvelle n’assombrisse ses pensées. Cette humeur joyeuse dura jusqu’à l’après midi, quand un premier cri retentit : « Regardez ! Dans le ciel ! »
En levant les yeux, Alexandre aperçut une vive lumière qui brillait malgré le soleil haut dans les cieux. Les habitants d’Argos ne parlaient plus que de ce signe des dieux, et l’agitation des lieux poussa les trois camarades à quitter le centre de la ville. En effet, une grande foule se dirigeait vers le temple de Poséidon, afin de savoir ce que cette intense lumière signifiait, et on avait déjà vu des gens périr dans une foule pareille.
Soudain, une voix les retint. Ils passaient devant la maison du maître, et ce dernier les invitait à entrer.
Une fois qu’ils furent installés confortablement sur les klinês, Oros demanda enfin ce qui les tracassait tous : « Maître, savez-vous ce qu’est cette lumière dans le ciel ? »
Trois regards avides posés sur lui, il réfléchit un instant et répondit :
- « Alexandre, as-tu fais part à tes amis de ta découverte ? »
Face à deux regards pleins d’incompréhension, le vieil homme expliqua de quoi il retournait, et exposa sa théorie.
- « Imaginez un instant… Si cette étoile qu’avait aperçu Alexandre était un morceau de métal, tombé depuis l’Olympe ? Il y a une description semblable au phénomène observé aujourd’hui dans un vieux manuscrit que je possède, mais j’avais cru au témoignage d’un fou. Selon lui, une lumière, visible de jour comme de nuit, descendit du ciel et tomba sur le continent. Il prétend aussi que, au point d’impact, il y avait un cratère au fond duquel se trouvait un morceau de fer pur… »
« C’est impossible ! Tout le monde sait que le fer se trouve à l’état de minerai, qu’il faut fondre et forger pour obtenir du fer pur ! »
Chimon se recroquevilla, prenant soudain conscience qu’il avait interrompu le maître. Celui-ci claqua sa langue, mécontent.
« Je disais donc qu’il trouva ce morceau de fer pur, vraisemblablement tombé du ciel. Il s’agissait donc d’un morceau de fer olympien, tombé de la demeure des dieux. Et l’étoile que tu as observée cette nuit, Alexandre, ne devait être que le reflet du char solaire, à ce moment là derrière la terre, sur le métal, conclut le professeur. »
« Êtes-vous sûr que ce métal soit sans danger ? dit Oros, inquiet, en regardant le ciel dans la cour. Il devait se trouver dans un cratère qu’il avait creusé. Et s’il tombait sur une maison ? Ou s’il était assez gros pour faire de grands dégâts ? »
Le maître secoua la tête.
- « Les dieux nous protègent, et c’est une occasion inestimable d’observer ce phénomène rare. Vous pouvez partir si vous le désirez, mais j’irai chercher ce métal dès qu’il sera tombé. »
Un long silence incertain suivit, et tous sortirent dans la cour pour observer la lumière. Peu de temps s’était passé depuis que la lumière avait fait son apparition dans le ciel, et elle semblait grossir de plus en plus, quand soudain elle se scinda. Les deux morceaux descendaient maintenant à vue d’œil, et la panique commença à gagner l’île d’Atlantis. De nombreuses personnes commençaient à voir en la lumière une punition divine et non un cadeau. Les plus virulents disaient que Zeus les punissait d’avoir voulu étendre leurs conquêtes, que c’était un acte d’Hubris, l’orgueil. En effet, cette lumière ne rappelait-elle pas celle de la foudre du roi des dieux ?
Atlas était une cité de science et de savoir. Ce phénomène, nouveau et soudain, inconnu de tous, la plongea dans le chaos. Beaucoup de gens voulurent embarquer vers le continent, et seuls quelques fanatiques ou scientifiques restèrent tranquillement chez eux. Les premiers voulaient subir la punition divine, les seconds n’y croyaient pas. La mère d’Alexandre, elle, resta pour permettre à ses fils d’embarquer dans les bateaux bondés. Ils étaient serrés dans un coin de la cale, derrière les rameurs. Alexandre rassurait ses jeunes frères, terrifiés par le bruit et la cohue régnant sur la trière. Tout en les réconfortant, il attendait la fin.
*
Ce qui se passa ensuite fut en somme très scientifique, de cette science si chère aux atlantes. Les deux fragments de roches stellaires tombèrent, l’un sur l’île, l’autre dans la mer. Le premier fragment rasa une partie de l’île. La ville d’Argos fut soufflée. Le temple de Poséidon, rempli de prêtre et de fidèles, qui pensaient y trouver un abri, fut entièrement détruit. Les fines colonnades, les fresques ouvragées, les statues, les fontaines, tout fut réduit à néant. Les bateaux furent violemment secoués, et les plus légers renversés. Sur l’île, seuls quelques paysans loin du point d’impact survécurent.
Jusqu’à ce que le deuxième fragment prenne le relais. Ce dernier avait percuté la surface de l’eau, puis le fond marin. Pas de quoi en faire un drame me direz-vous. Et si je vous disais que, suite à cet impact, de l’eau avait bougé ? Beaucoup, beaucoup d’eau. Des quantités si astronomiques que toutes les terres d’Atlantis furent submergés, et que, près des côtes, une immense vague détruisit toute la flotte atlante, ainsi que de nombreux villages barbares.
Un dicton atlante dit… enfin, disait : « La nature n’est pas cruelle, mais implacable ». Il fut une nouvelle fois vérifié, car rien ne subsista d’Atlantis la magnifique, la plus riche et plus grande force de l’époque…
Toutefois quelques doutes perdurent sur la disparition de tous les Atlantes. Sans la science d’Atlantis, comment les égyptiens auraient-ils pu construire les pyramides sur le nombre Pi ? Sans leur génie astucieux, comment les lignes de la Nazca auraient-elles pu voir le jour ?
Génies en avance sur leur temps, et au savoir pourtant disparu… Nous ne pourrons jamais savoir qui étaient vraiment les atlantes, mais il y a une chose qui nous relie encore à eux… Nous regardons les mêmes étoiles.

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2021/11/14 - Texte des nouvelles primées au Concours J. de Romilly (éd. 2021)

Nous publions ci-dessous le texte des lauréats du concours de la nouvelle, édition 2021, en renouvelant nos félicitations à l'ensemble des candidats et en espérant recevoir de nombreux textes pour l'édition 2022 !
Catégorie Enseignement supérieur :
1er prix ex-aequo : Bouamrane Derrar Meftah, Université Bordeaux Montaigne
Titre de la nouvelle : La Métamorphose d'Ovide
Après une nuit de songes agités, Publius Ovidius Naso se réveilla en découvrant qu’il était devenu trop grand pour son lit. En une nuit, le sexagénaire avait grandi d'un pied.
-Une poussée de croissance ?
Comme aucun des locaux n’était assez docte pour le soigner, il avait fait venir un médecin étranger nommé Paramedos, qui, par chance, était arrivé à Tomis ce jour-même, après avoir remonté les eaux boueuses de l’Éa et traversé l’hostile mer noire.
-Oui, et il ne s’agit que de l’anomalie la plus récente. Tout a commencé il y a environ deux semaines. Je me suis levé un matin avec la vitalité d'un jeune de vingt ans. Une énergie longtemps disparue avait ranimé mon regard, redressé mon dos, et restauré mes muscles, si bien que j'ai bondi hors du lit. C'était comme une renaissance.
« Etait-ce une crise de démence sénile ? Etais-je encore en plein rêve? Ou bien était-ce un cadeau des dieux, qui, avant que les ciseaux de la Parque Morta ne me séparent du vivant, auraient décidé de m’accorder un ultime sursaut de jeunesse ?
« Les réponses à ces questions ne m'importaient guère. Et aux sombres méditations sur ma fin imminente s’est substituée l’insouciance adolescente qui allait de pair avec cette éruption de jouvence, dont je comptais m’enivrer. Ainsi, j'ai passé la journée dans la nature à chasser les porcs sauvages, courir dans les collines où fleurissaient des colchiques, grimper sur des arbres colonisés par des caméléons, qui s’écartaient pour me laisser en cueillir les fruits… Après une décennie de lamentations, je découvrais enfin la nature splendide qui avait tout ce temps entouré ce lieu que je considérais comme ma prison.
« J’ai passé la soirée au bord d’une falaise si haute qu’elle aurait percé les nuages, si le ciel n’en avait pas été dévêtu ce soir-là ; il n’y avait en effet aucun voile pour empêcher la lune de m’oindre de sa lueur éclatante, et de projeter son image cornue sur cette mer qui avait recueilli tant de mes larmes.
« Je m'attendais pourtant à la mort. A vrai dire, je me considérais déjà comme mort, et pensais que ma vie s'était terminée dix ans auparavant, quand l'empereur m'avait exilé et forcé à vivre loin des amis, de l'épouse et de la patrie que je chérissais tant. Pendant longtemps, j'ai cru que mes mots pourraient me délivrer, me ramener à Rome, me rendre la vie… Mais j'ai fini par poser ma plume et cesser de nier mon décès social, pour faire face à mon décès charnel et accepter Tomis comme ma tombe. Mais cette vie, dont je n’attendais plus rien, m’accordait subitement un nouvel avatar.
-Donc, vous vous seriez réveillé subitement rajeuni, et deux semaines plus tard, vous auriez grandi d’un pied ? Aussi inhabituelle puisse-t-elle être, votre situation me semble bénéfique. Pourquoi m’avoir fait venir ?
Le regard du vieillard s'assombrit.
-Après cette journée d’escapades, j’ai fait une série de rêves étranges, et le lendemain une intense brûlure à l’estomac m’a réveillé.
-Cela pourrait être causé par les baies sauvages, ou les colchiques, qui sont réputés pour leur toxicité.
-Cela ne vient ni des fruits, ni des fleurs, j’en suis certain. Ma brûlure persiste encore aujourd’hui, et je n’ai cessé de me réveiller avec de nouvelles mutations. Trois jours après celle-ci, mes cheveux, mes poils, mes ongles se sont détachés de ma peau. Encore trois jours et c'est cette même peau qui a décidé de me fuir en pelant : regardez mes bras, Paramedos, et mon cou, et mes jambes ! Si j’ôtais ma tunique, vous verriez dans son entièreté l’immonde mosaïque de squames blanchâtres qui me recouvre ! Et, trois jours avant ma poussée de croissance, je me suis levé bossu, affligé d’une douleur intense au niveau des épaules, comme si c'était désormais mes propres bras qui voulaient quitter ce corps maudit, en lui transperçant le dos. Et qui pourrait les blâmer ? Je suis devenu un monstre, et pas seulement au physique. Ces rêves étranges, je les ai faits chaque nuit. Chaque nuit, les mêmes songes teintés de ténèbres et de sang, chaque nuit, les mêmes parents démembrés, les mêmes vierges immolées, les mêmes enfants embrochés. Chaque nuit, mes doigts parcourent leurs chairs tièdes et humides, chaque nuit, mes oreilles accueillent leurs pleurs et leurs implorations. Chaque nuit, je commets ces mêmes meurtres et chaque nuit, j’y retrouve la même jouissance.
Il agrippa le poignet du médecin.
-Aidez-moi, implora-t-il, aidez-moi à éteindre ce feu avant qu’il ne me consume entièrement.
Embarrassé, Paramedos libéra son bras, prescrivit au patient un remède pour les colchiques et le laissa.
Plus tard, après une promenade nocturne, Ovide s’apprêtait à rentrer chez lui. Ses esclaves s’étaient couchés depuis un moment déjà, tout comme le soleil, qui avait cédé la place à une lune pleine et indiscrète. Il crut entendre des bêlements au loin, mais n’y porta pas plus d’attention et continua d’avancer. Cependant, dès qu’il eut franchi le seuil de sa chambre, il sentit son corps s’alourdir ; et chaque nouveau pas intensifiait encore plus ses douleurs, ses démangeaisons et sa brûlure, si bien qu’il s’écroula une fois arrivé près de son lit.
-Ô Dieux, suis-je en train de mourir ?
-Non, vous ne mourez pas ; vous vous métamorphosez. Je vous croyais plus renseigné sur le sujet.
Il leva les yeux et vit une femme aux boucles noires, et, aux pieds de celle-ci, un agneau à la toison blafarde.
-Vous êtes déjà bien lourd ! constata-t-elle en tirant le malade vers le centre de la pièce.
-Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ?
-Vous ne me reconnaissez pas ? Vous qui m'avez chantée tant de fois ?
-Je ne comprends pas…
-Je suis Médée.
Le poète, stupéfait, fut pris d’un hoquet brûlant.
-Vous pensiez que j’étais une légende ? J’en suis surprise, vous aviez pourtant l’air de me connaître personnellement.
Sa douleur était telle qu’il n’arrivait plus à bouger, c’était à peine s’il pouvait encore remuer ses lèvres, mais il parvint à nier de la tête. Elle poussa un soupir et commença à raconter.
-J'étais en voyage à Rome pour quelque manigance magique, quand j'ai eu vent de cette nouvelle tragédie sur moi. J'ai dû faire couler autant de sang que d'encre, donc autant vous dire que je n’ai ni lu ni vu toutes les œuvres que j’ai inspirées. Mais quand l'occasion se présente, j'aime bien jeter un œil, voire une oreille s’il s’agit de théâtre. Je m’attendais à un divertissement sans trop de substance, mais votre pièce m’a tout simplement bouleversée. Je me suis ensuite emparée des Héroïdes et des Métamorphoses, et cela a confirmé mes impressions. Certes, tout n’est pas parfaitement fidèle – j’aime beaucoup l’idée que je puisse invoquer des dragons à ma guise, comme dans les Métamorphoses, mais ce n’est malheureusement qu’un fantasme ; vous avez toutefois réussi à me cerner avec tant de précision… Certains passages retranscrivent même mot pour mot ce que j’ai pu dire ou penser. Et, au lieu de me présenter comme le monstre que je suis, votre œuvre m’a accordé un respect inédit, et pour la première fois, j’ai eu l’impression qu’un auteur me traitait comme… une humaine.
Les yeux d’Ovide s'emplirent de larmes. Que ses poèmes aient pu produire pareil effet était un si grand accomplissement. Mais le visage de la femme s’assombrit, et la laine de l’agneau sembla pâlir davantage.
-Vous n’avez pas l’air d’avoir compris la fatalité de votre erreur. J'ai vu tant de dramaturges déployer leurs artifices pour ne produire qu’une parodie, tant de comédiens aux masques grotesques essayer vainement de singer mon ressenti. Avant votre pièce, personne n'avait réussi à représenter ne serait-ce que l’ombre de ce que je suis vraiment. Alors, je vous le demande : qui êtes-vous ? Qui vous a permis de vous approprier mes tourments les plus intimes, de les dévoiler ainsi au grand public, en en faisant une esthétique ? D’ailleurs, qui vous a donné autant de détails sur ma vie ? Etait-ce l'inspiration d'une muse que j'aurais offensée ? Le fantôme vengeur de Jason vous a-t-il parlé en songe ? Etes-vous, vous-mêmes, poète sorcier, puisant vos vers dans le passé par quelque maléfice ? Après-tout, je vous ai lu et entendu parler ; vos œuvres pullulent de rythmes ternaires. C’est à se demander si vous n’invoquez pas Hécate à chaque clausule !
L’agneau, terrifié, tenta de s'évader ; Médée ferma la porte d'un revers de main. Elle s'approcha ensuite d'Ovide et lui releva le menton, pour le fixer droit dans les yeux. Ils étaient inexpressifs.
-Vous ne pouvez déjà plus répondre ? C'est assez embarrassant. J'aurais dû vous interroger plus tôt. Peu importe.
Elle laissa sa tête retomber et se mit à agiter les bras au dessus de lui. L’agneau bêlait.
-Publius Ovidius Naso, maudit-elle, pour avoir profané mon humanité par vos vers, je confisque la vôtre par mes sorts, et vous condamne à une éternité de servitude.
Le tonnerre retentit. L’agneau hurla. Le crâne, les doigts et tous les os d’Ovide commencèrent à s’allonger ; la bosse de son dos se mit à palpiter et rougir, telle un furoncle que des mains négligentes tenteraient de percer ; des ongles géants émergèrent de toutes parts, déchirant dans leur croissance la peau et l’habit du poète déchu.
-Vous jeter ce sort n'a pas été facile, reprit-elle. Il me fallait d'abord vous couper de tous vos liens affectifs. L’isolement me semblait être une solution efficace – c'est d’ailleurs après avoir bu l’une de mes potions que l’empereur vous a exilé, vous n'aviez commis aucune faute grave – mais vous vous êtes tellement accroché ! A cause de toutes vos lettres, j’ai dû redoubler de tours à Rome pour qu’Auguste ne se laisse attendrir par vos mots, et pour que vos proches oublient jusqu’à votre nom. Vous devriez être fier : je n'avais jamais fait tant d'efforts pour réussir une métamorphose. Votre persévérance avait pourtant ses limites, contrairement à ma patience. Un jour, vous avez abandonné votre stylet, brisant ainsi l’ultime chaîne qui vous retenait à la terre. Vous étiez prêt.
Tout en parlant, Médée tournait lentement autour de sa victime et versait du sel de la main gauche.
-Que disiez-vous dans vos Pontiques? "Que ne puis-je atteler les dragons dont Médée se servit pour fuir, ô Corinthe, loin de ta citadelle ?" Quelle ironie !
Dès qu’elle eut fait trois tours, une paire d’ailes déchira le dos de sa victime, et des flammes jaillirent de sa gueule, flammes qui, contenues dans le cercle tracé par la sorcière, se retournèrent contre leur source et l’embrasèrent. L’agneau grattait la porte, cognait, implorait qu’elle s’ouvrît, tandis que la pièce se remplissait de fumée et du rire perçant de Médée.
La combustion achevée, la magicienne fit se dissiper le nuage gris qui l’empêchait de contempler son œuvre : un dragon aux écailles noires comme la poix. Il s’avança vers elle et baissa la tête en signe d’allégeance.
-Tu es magnifique, murmura-t-elle en flattant de la main les ailes de sa création. Toi et moi allons réduire le monde en cendres, en commençant par les exemplaires de ton odieuse tragédie.
Elle se dirigea ensuite vers l’agneau, et l’étrangla avant même qu’il pût tenter de se débattre. Puis elle porta l’ovidé jusqu’au lit, jeta sur lui une couverture et monta sur son reptile ailé pour s’envoler vers la lune, dont l’orbe noircissait à mesure qu’elle en approchait.
Le lendemain, un esclave d'Ovide découvrit le corps inerte de son maître. En voyant sa couverture froissée et le filet de salive séchée près de lui, il conclut qu’il avait cédé à un ultime délire nocturne.
1er prix ex-aequo : Jeanne Liaudat, Université de Neuchâtel
Titre de la nouvelle : Pro lingua latina
C’est d’abord des pages de manuel bien agencées, des rectangles pastels qui répertorient rosa, rosae, et quelques mots de vocabulaire. La Guerre des Gaules, et une page de civilisation par chapitre où l’on apprend que les Romains écrivaient sur des espèces de livres de cire.
Assez vite, ça devient des images. Des dessins des grands thermes de Dioclétien. Reconstitution 3D. Photos des merveilleux tubuli qui me plairaient bien pour chauffer les murs de ma salle de bain. Sur la couverture du bouquin, la fresque rouge de la femme au stylet de Pompéi. Rouge, c’est beau. L’archéologie nous étonne : les formes, les tailles, mais les couleurs surtout.
Viennent les voyages. Toucher du doigt par-dessus les cordons de sécurité. Pas bien. Trop bien ! Les mains de Cicéron étaient affichées là. Combien d’hommes morts au milieu de ces gradins ? Combien de mains antiques ont effleuré cette cannelure de colonne ?
Sous terre, des tombes aux fleurs multicolores. Dans les vitrines, des couronnes en pétales d’or. Nos périples nous emmènent à l’Est. L’Antiquité conquiert la Méditerranée. Des visages émaciés nous regardent. Des portraits cartonnés sur des sarcophages. Une mèche de cheveux de trois mille ans.
On sort de la ville. Quitte la foule. On se perd. Là où vivaient les petites gens, il y a moins de panneaux indicateurs. Une grille qu’on ouvre. Une colline qu’on gravit. Simultané : la mer, la mer, les arbres secs de mer Égée, un morceau de rempart clair qui plonge. Entre les feuilles, la mer joue, se cache et revient. Le rempart tourne, s’estompe, disparaît. Il n’y a pas de panneaux indicateurs pour les petits budgets. Le chemin de cailloux s’ombrage et s’infléchit. Sur un flanc de talus, une petite maison. Quatre pièces, un escalier, bien moins d’un demi-mètre de murs. Là, tu vois, j’aurais pu vivre.
Grandiose, le Colisée. Intense, le Parthénon. Grandes envolées.
Paisible, la main côtière de Chalcidique. Dans ce petit village qui croule, un homme est né il y a près de vingt-quatre siècles. Un homme immense, grandiose, aux envolées plurimillénaires. Un homme dont l’ombre s’étend sur toute l’Antiquité, le Moyen Âge, la philosophie, la botanique, le théâtre classique, Corneille, Racine, Molière, Thomas d’Aquin, Arendt, l’éternellement jeune colosse conquérant du monde antique dans toute sa fougue. Mais les mots s’arrachent au temps en monuments plus modestes que les armes.
Nous redescendons la colline pour aller voir sa statue. Petite mais sur un piédestal, au milieu d’une placette, blanche. Désert. La plage nous appelle, entre la colonne de marbre et la colline inébranlable. Le ciel, si bleu, la mer, si vaste, nos rires, si présents.
Aristote, pardonne-moi, je sais si peu de toi. Un jour je te lirai, je sais, parce que j’aime ton monde et que tu l’ombrages d’une hauteur incommensurable. Mais là, les pieds dans l’eau, je regarde le lieu qui t’a vu naître. J’essaie de me représenter la course du temps dans le ciel. Les changements du monde dans les ondulations des branches vertes sous le vent. Quelle pouvait être ta vie, Aristote ?
Les gens ne comprennent pas pourquoi on s’intéresse à ces choses-là. C’est souvent dur à expliquer. Si je pouvais, je le mettrais en bouquet ainsi :
Les mots, les pierres, les couleurs, et les idées.
Aristote, une maison à quatre pièces, le bleu de la mer tranchant sur le vert maquis, le vertige du temps.
Quousque tandem abutere, Catilina, patientam nostram ? L’impossibilité d’embrasser d’un regard la coupole du Panthéon ; le jaune vif d’une taberna des bas-quartiers de Pompéi ; l’injustice des peuples vaincus qu’on regarde depuis les textes des vainqueurs.
Ô mon prince africain, sais-tu tout mon chagrin pour ce qui est perdu ?
L’érosion nous gagne par le temps, par l’oubli, par la bêtise, par nos choix, par nos biais. Ô peuple qui confiait sa mémoire aux arbres, quelles histoires colorées as-tu données à tes oublieux enfants ? Combien d’adieux d’Hector à Andromaque ? Combien de sonnets à Hélène pour les dieux des nomades ? Enfants oublieux, ne croyez pas que les textes aient l’apanage de la richesse.
Pourquoi ? Pourquoi ?
Pourquoi ouvrir ce livre et se farcir des heures de petits tableaux pastel ?
Parce que ce monde, petit frère, absurdement loin, indécidablement différent ou similaire, c’est une porte d’entrée.
Une porte pour goûter les briques derrière les mots comme l’ingénieur voit les poutres du pont. Jouer avec ta langue, ton expression. Armer ta pensée, aiguiser tes effets, et frapper fort. Faire des mots tes alliés, à jamais. O tempora.
Une porte pour observer le monde et grandir de ce que l’on voit. Pour comprendre ces vieux bouts de murs qui traînent, ces traces grises qu’on met sous verre et qu’on perfuse de nos impôts. Pour chercher la pensée dans la matérialité. Pour réinterroger nos habitudes, nos formes, nos agencements, nos facilités.
Une porte pour s’étonner. Pour mesurer le temps. Les regarder de loin, les croire idiots, fous, païens, traditionnels. Se surprendre à les comprendre. Leur ressembler. Se voir depuis chez eux. Apprendre le sens du mot réflexif.
Comprendre que nous ne sommes qu’une part. Que ça ne veut pas dire peu ou pas important, mais perspective. Découvrir la porte, ses contours, ses dessins, toucher la poignée, trouver la curiosité.
Ouvrir.
Et là, tout voir : la postérité, titanesque. Les noms de nos constellations, nos poètes, nos romanciers, nos jeux vidéo, nos héros, nos modèles, en littérature, en philosophie, en société. Les mensonges et les erreurs, omniprésents. L’histoire écrite par les vainqueurs, encore. La diversité et l’immensité du monde. Les peuples à tradition orale. Les femmes, dans les maisons. Les esclaves, légion taciturne.
Le chemin est long, multiple, trop foulé ou vierge. Devant toi, des milliers de portes.
Il y a longtemps, mais qu’est-ce que cela veut dire ? Dans un passé qui me paraît loin, on m’a demandé pourquoi je faisais des études.
Encore une fois ? Pourquoi le latin, pourquoi le grec, pourquoi pas l’anglais ou l’économie ?
Tout le monde te le dira : tu feras des progrès en grammaire, en français mais aussi dans n’importe quelle autre langue que tu apprendras, tu vas enrichir ton vocabulaire, et la mythologie c’est rigolo. Mais je peux te dire que si un jour, comme moi, tu te mets aux verbes irréguliers en grec, tu ne comprendras plus rien. Et tu douteras de tout. De ton utilité, de ta légitimité. Tu prendras peur : mais à quoi je passe mon temps ?
D’autres te diront : tu es un passeur de savoir. Ce patrimoine, ce passé précieux, doit se transmettre de mémoires en mémoires pour survivre. Y a-t-il de quoi rendre le latin obligatoire pour un petit gars comme toi qui aimes surtout les maths ?
Pour une fois, l’impertinent qui nous interrogeait m’a donné une réponse qui m’a plu. Ce professeur, il y a des années, nous l’a dit comme ça : on étudie… parce qu’on a des questions.
Je n’ai pas trouvé plus vrai depuis.
Les Grecs et les Romains se posaient tellement de questions. Sur la nature, sur leurs prédécesseurs, et sur eux-mêmes. Ils étaient curieux de tout, cherchaient des explications à chaque phénomène, chaque sentiment. Ils voulaient tout classer, ordonner : la pensée, la matière, la création du monde.
Ils voulaient donner un sens à tout.
Il y a une chanson d’une artiste que j’aime beaucoup, où elle dit « donnez-lui la passion ». C’est une prière à Dieu. La femme de la chanson a une enfant, une petite fille, et elle demande à Dieu, si jamais elle, la maman, devait mourir, d’au moins donner la passion à sa fille. Parce que la vie n’a pas de sens, et que l’aimer, ce n’est pas donné. Une maman, ça t’apprend ses joies du quotidien, ses préceptes moraux, ses attentes. Ça te donne de l’amour quand il n’y plus rien d’autre - mais si tu enlèves ça, alors… Alors tu es seul.
Et comment fais-tu pour te relever ? Pourquoi te relever ?
Si tu as la passion, tu te relèves. Si tu as la curiosité d’en voir encore un peu. Si tu te poses des questions, tout sera plus facile. Les longues années d’école obligatoire. Rester six heures à l’arrière d’une voiture. Les gens qui aiment pas les mêmes films que toi. Le voisin qui écoute de la musique étrangère.
Je ne peux pas te dire à quoi ça va te servir d’apprendre le latin. Je peux te parler des compétences que tu vas développer. Je peux te raconter les myriades de références et de conséquences dans notre monde présent que tu auras l’opportunité de comprendre. Mais je peux surtout te peindre mon expérience à moi : un chemin d’écolière qui devient un paysage à perte de vue. J’ai le sentiment de pouvoir tout faire, maintenant. J’ai le sentiment que je pourrais devenir astrophysicienne comme comédienne. Je vois un peu d’où l’on vient, un peu où l’on est, très peu où l’on va. Mais j’ai la sensation d’un horizon merveilleusement ouvert, d’une vie comme un terrain de jeu où tout est à découvrir.
J’aimerais tellement te prendre la main et t’emmener, te faire voir. J’essaie, en tout cas.
Voilà, voilà, c’est ce que je voulais te dire. À peu près. Il y aurait tellement encore.
Si ce n’est pas ça, ton truc, tu trouveras autre chose. Mais sois curieux. C’est ça, ce qu’il faut retenir de tout ce blabla. Sois curieux, surtout. Essaie des trucs inattendus. Perds-toi dans une bibliothèque ou sur Wikipédia.
Le bagage de latiniste, disons que c’est comme un kit pratique du curieux. Tu pourrais faire plus d’exploration avec.
J’arrête, j’arrête. Tu as raison, j’abuse.
Non, attends ! Assieds-toi encore deux minutes.
Je voulais juste te lire le prologue de l’Odyssée. Si, si, c’est tellement beau ! Juste le début.
Promis, après, j’arrête.
Sauf si tu as envie que je te raconte la suite, bien sûr. Je ne suis pas pressée.
Catégorie Enseignement secondaire
1er prix ex-aequo : Leïla Berlier, Lycée Claude Lebois, Saint-Chamond
Titre de la nouvelle : Ce n'était pourtant qu'un nuage
27 avril 1986
11h - Son père est en déplacement, sa mère et son petit frère sont chez ses grands-parents. Seule à son domicile avec son chien, elle travaille ses cours. La radio grésille, des enfants jouent dans la rue.
24 octobre 79
9h - Son maître est un homme riche et influent qui l’a choisi pour sa docile intelligence, sur le marché aux esclaves. Il note, compte et déduit pour son maître depuis l’aube. Les oiseaux chantent au dehors, l’air est doux pour un mois d’octobre.
27 avril 1986
14h - C’est la panique ! Depuis le message diffusé à la radio, les gens crient, courent et se précipitent. « Attention, attention » disait l’enregistrement, « accident survenu à la centrale nucléaire… il est nécessaire d’évacuer temporairement la ville… à partir de 14h… prendre avec vous vos papiers d’identité et le strict minimum… fermer les fenêtres, couper l’électricité et le gaz… ». Pourtant, elle reste hésitante. L’incendie de la centrale nucléaire ne l’inquiète pas beaucoup. Les décisionnaires veulent couvrir leurs arrières en évacuant les populations, c’est normal, mais le risque n’est pas si important. Face au feu, on a le temps de fuir. Cependant, elle ne voit pas de feu, juste un nuage lointain… Son père s’inquiéterait de ne pas la voir quand il rentrera.
Elle va rester jusqu’au retour de son père le lendemain au matin. Ils décideront ensemble de partir ou de demeurer.
24 octobre 79
11h30 – Le sol tremble sous ses pieds. Les vases vibrent sur les meubles. C’est déjà la troisième fois en moins d’une heure. Son maître est sorti, il est donc impuissant. Quelqu’un a provoqué la colère des dieux. Il le sent, quelque chose de terrible est en train de se passer. Heureusement qu’il n’a rien à se reprocher. Son maître est lui aussi un homme bon, il n’a pas de remords à avoir. Il est donc tranquille. Les dieux ne s’en prendront pas à lui. Peut-être qu’avec un peu de chance, ils en ont après ce magistrat qui l’a frappé sur le marché, ou bien à ce marchand qui vole son maître depuis des mois, qui sait ? Mais lui, il est tranquille.
28 avril 1986
16h - Le calme de la ville est inhabituel. Le chien pleure, l’ambiance est lourde. Son père devrait être de retour mais elle ne l’a pas revu. De la fenêtre de la cuisine, elle voit le nuage de l’incendie au dessus de la centrale. Des convois s’activent, tournent. Des hélicoptères semblent mobilisés aussi. Elle ne sait plus quoi penser. La ville ne semble pas en danger immédiat, et les autorités ont parlé d’un retour sous les deux ou trois jours. Elle attendra, elle ne fuira que si elle en ressent le besoin.
24 octobre 79
13h30 - Son maître est rentré préoccupé. Il lui a montré depuis le perron la montagne qui domine la ville. De la fumée en sortait. Un nuage énorme montait vers le ciel. « Je ne pense pas que les dieux en aient après nous », lui a-t-il glissé. Ils sont en sécurité, la maison est protégée et ils n’ont rien à craindre de cette colère divine qui n’est pas dirigée contre eux. Il a beau se le répéter, il en est de moins en moins convaincu. La vie de quelques mortels n’est peut-être si chère aux yeux des dieux…
14h30 - Il est esclave, certes, mais un esclave instruit. Une montagne qui crache un nuage de fumée s’appelle volcan or la vision qu’il a depuis la porte d’entrée y ressemble grandement. La connexion est faite dans son cerveau et son instinct prend les commandes. Il faut fuir !
28 avril 1986
20h - Elle a fait une erreur ! Une erreur qui pourrait lui coûter la vie. Son père n’est toujours pas en vue. Il n’a pas appelé, certainement persuadé qu’elle a été évacuée avec les autres. Elle s’est plongée dans les livres de son père, voulant tromper l’ennui et faire taire son inquiétude. Il gardait dans ses étagères des ouvrages entiers sur le nucléaire et ce que l’on sait de cette science atomique. Ce qu’elle a lu lui a donné la chair de poule. Cette utilisation de la matière est d’un génie improbable mais les risques en cas d’accident… Des mots tournent dans sa tête, insistants : irradiations, radioactivité, réactions en chaîne… Son corps est tendu à l’extrême et tout son être lui crie de courir, vite et loin. Mais comment partir ? Même les troupes mobilisées pour la garde de la ville ont déserté. La nuit tombe. « Évacuation temporaire », « retour sous deux ou trois jours ». Les paroles du message radio du début d’après-midi lui permettent de contenir le réflexe animal qui la pousse à quitter les lieux sur le champ. Les accidents sont rares, cet incendie est sans doute insignifiant. Pourtant, elle prépare un sac à dos. Elle partira demain.
24 octobre 79
15h - Le panache de fumée vient de heurter un plafond invisible et s’étend maintenant au dessus des habitations. Le maître l’a décidé, il n’y a pas de danger. Ils ne partiront pas. Le soleil disparaît. L’obscurité tombe. L’atmosphère se refroidit. La montagne rugit. Le sol tremble.
16h – Si la pluie est souvent d’une douceur bienfaisante, celle qui s’abat sur la ville n’est que douloureuse. Des blocs de pierre tombent sur les toits. Les habitants fuient ou se cachent. Ils se mettent à couvert dans la maison, son maître et lui, puis se rapatrient dans la cave. Alors commence l’attente.
29 avril 1986
6h30 - Son ennemi est invisible. D’après les livres, le nuage radioactif envahit les alentours en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Chaque parcelle de son corps semble la brûler. Sa respiration est hachée, elle tente de respirer le moins possible. Son chien la suit, docile et grave. Un mal de tête la prend. Est-ce l’effet des particules radioactives ou bien est-ce dû à la peur qui la ronge et au manque d’oxygène ? Elle a quitté la ville dès le petit jour. Toujours pas de nouvelles de son père. Elle va tenter de rejoindre la centrale. Là-bas elle trouvera bien un convoi qui la portera à Kiev là où le reste de la ville à été évacué. La tête lui tourne, la nausée lui brouille les idées. Elle doit trouver quelqu’un. Pour sa survie. Pour son chien.
24 octobre 79
20h - Cela fait quatre heures qu’ils sont enfermés dans la cave. Son maître est sorti il y a deux heures. « On ne bouge pas, ça tombe toujours » a-t-il annoncé en revenant. Il y a un peu de nourriture stockée dans le fond de la pièce. Ils en ont mangé un partie et attendent à nouveau.
23h - Il ne parvient pas à dormir. Le sol tremble toujours, à intervalles irréguliers. Son maître dors. Il entend les maisons des voisins s’effondrer. Il a peur.
29 avril 1986
7h30 - Des hommes sont là. Ils portent des combinaisons et des masques. Ils lui hurlent des mots qui résonnent dans sa tête « irresponsable… consignes… danger… ». Un fourgon la transportera à Kiev mais le chien doit rester. Elle ne veut pas l’abandonner ! Pourtant sa petite tête et ses yeux tristes s’éloignent déjà dans les rétroviseurs.
24 octobre 79
Minuit - L’air manque. Il s’est levé pour pousser la porte pour faire entrer de l’oxygène. Bloquée.
15 janvier 1996
12h - Le médecin a été clair. Les symptômes et les analyses révèlent une leucémie. Elle espérait pouvoir échapper aux conséquences de son erreur 10 ans auparavant mais le diagnostique est formel : il ne lui reste que quelques mois à vivre.
25 octobre 79
00h05 - Il suffoque. Son maître s’est réveillé. Leur respiration est saccadée. Assis contre une jarre, le maître de maison réalise qu’il va mourir. « Pardonne moi… » murmure-t-il à son esclave qui vient se blottir contre lui. Jamais il n’aurait osé mais, à l’article de la mort, l’Homme a besoin de cette chaleur que produit un corps en vie. « Pardonne moi… » répète-t-il dans un souffle. Son corps se détend alors dans les bras de celui dont il a toujours pris soin malgré son statut. Il balaie d’un revers de main la larme qui roule sur la joue du mort. Sa tête est lourde. Son corps s’abandonne. Alors je vais mourir songe-t-il, avant de sombrer. Le nuage de cendres destructeur s’abat toujours sur la ville.
26 avril 1996
1h23 - Ses yeux sont lourds mais ce n’est pas la fatigue. Son corps ne répond plus. Elle ne sent plus la douleur. Elle se sent partir. Elle jette un regard au radio-réveil : 1h23. Il y a 10 ans exactement, le réacteur 4 de la centrale nucléaire échappait au contrôle des techniciens se dit-elle avant de quitter le monde des vivants.
Deux êtres unis malgré eux par leur destin. Anciens habitants de villes toutes deux aujourd’hui connues sous le nom de « ville-morte ». Victimes d’événements qui dépassent les capacités de l’Homme.
1er prix ex-aequo : Justine Gouillart, Lycée Thiers, Marseille
Titre de la nouvelle : Ma flamme fut jadis par Hector allumée
La cité n'étais plus, par le bûcher rageur, grand incendie cruel et violent destructeur. Ecrasée sous le poids d'une chute imposée, elle pleurait sans bruit en son âme brisée. Les victoires avaient fui, se changeant en traîtres. Les Achéens étaient dès lors les grands maîtres. Que peut-on bien tenter quand un héros succombe, et emporte avec lui la ville dans la tombe ? On avait imploré Zeus, Arès et Pallas ! Sous les flammes des Grecs, Ilion brûlaient, hélas ! Femme de Ménélas, Hélène l'infidèle, avait sans le vouloir déclenché la querelle. Les quelques survivants, perdus parmi les morts, levaient les yeux au ciel et priaient pour leur sort. Mais loin sur les sommets veillait Discorde, obscure, décidée en secret à ce que rien ne dure, secrète déité, cachée en ses moyens, dès lors si fatale pour les héros troyens. Priam destitué, Cassandre torturée, Hector assassiné, Hécube capturée ; tous étaient écrasés et réduits au néant, ils étaient ou captifs ou enterrés céans. Achille avec sa force, Ménélas son courage, Ulysse par sa ruse, tourmentés par la rage, en une seule armée dont brillait le renom, avaient triomphé par les vœux d'Agamemnon. La grande Troie gisait sous les pieds de la Grèce, mais quelques survivants avaient fui la détresse.
Au loin sur son bateau, ses membres fatigués,Énée, voiles dehors, tristement naviguait. Loin de la ville aimée en cendres effacée, il l'entendait pourtant en son âme glacée. L'océan infini à bâbord, à tribord n'offrait à sa vision que son immense corps. Toujours les cris d'Ilion sifflaient à son oreille. Il n'aurait pour repos que les bruits de la veille. Il ne pouvait rien faire car le cri déchirant venait du fond de l'être comme un regret navrant. Perdu sous la grand voile, en son cœur affaibli, Énée pleurait sans fin le tourment de l'oubli.
Il s'éloignait toujours poussé par le destin et observait les siens dans le petit matin. Une plume bleutée déposée par la brise fascinait par son vol le jeune aux pieds d'Anchise. Ascagne encore enfant, fils d’Énée le pieux, amusait en riant le Troyen déjà vieux. Son père surveillait ce spectacle attendri mais entendait toujours Ilion périr sans cri. Où que le vent le porte, il pourrait percevoir la fin de sa cité, qu'il ne pouvait plus voir.
Les jours s'écoulaient, triste navigation, quand Énée aperçut une pâle vision. Par delà la marée, là-bas sur le rivage, une femme pleurait, elle semblait sans âge. Au bord d'une tombe fabriquée par ses mains, elle offrait des sanglots et soupirait en vain. Ses longs cheveux défaits en faisait une reine,
et ses larmes brillaient en ornements de peine. La douleur, les regrets, les chagrins, les remords semblaient lui conférer les charmes de la mort. La terre du tombeau, soumise aux vents d’Éole, pour la femme formait une blanche auréole. Le navire vira et Énée découvrit que c'était une sœur qu'à Troie on avait pris : la princesse Andromaque, joyau de la cité. Son cri de désespoir jusqu'à bord fut porté ; Andromaque d'Ilion, veuve du fort Hector, prononça un serment qui vola jusqu'à bord :
« Aide moi en ce jour, ô mon beau disparu,
Car aujourd'hui Pyrrhus vient réclamer son dû.
Oubliant son carnage il veut me faire reine
Ou ton fils Astyanax envoyer à Mycènes.
Te volerais-je un fils en lui donnant la mort ?
Resterais-je fidèle à un tombeau qui dort ?
Pour ultime serment j'ai juré sa survie
Mais j'ai besoin de toi qui lui donna la vie.
Que choisirais-je encor, l'hymen m'est oppression,
Que choisirais-je alors, de Butroth ou d'Ilion ?
Ordonne-moi « Aimée reste-moi donc fidèle »,
Ou maudis moi « traitresse offre lui un modèle ».
J'aimerais mieux mourir. Voilà ! Et tu verras,
La seule solution qui me délivrera.
De vermeil habillée en beau bûcher de Troie,
Le cachant à Pyrrhus aveuglé par la joie,
J'irai jusqu'à l'autel faire un serment fatal
Et couverte de sang haïr le lit nuptial.
Je tremble ! Je me perds ! Faut-il tuer la mère
Pour sauver son enfant ? Oui je dois bien le faire.
Les ans s'écouleront et sans moi ni les miens,
Sous la terre cachés dans leurs tombeaux éteints.
Astyanax élevé et sans père et sans mère
Par Céphise amené à venger ma colère
Priam, Polyxène, Cassandre et Hélénos,
Béniront des Enfers ce descendant d'Ilos
Notre fils Astyanax par Pyrrhus protégé
Mais en son âme prêt à voir son roi vengé.
Il grandira bien seul, haï des Achéens
Qu'ils soient nés d'Athènes, ou Lacédémoniens.
Fier descendant de Troie, rescapé du carnage,
Il ne me verra plus que comme un doux présage.
Tu tueras donc mon fils, et vengeras Ilion !
Et par la mort d'un seul, pour celle de millions,
En renversant Pyrrhus, le fils maudit d'Achille,
Tu ne tromperas point celle qui fut ta ville.
Et si tu subissais du destin un revers
Je t'encouragerais du fond de mes Enfers ... »
(ASCAGNE)
Le temps glissa sur nous emportant le serment, mais mon père est toujours saisi fort violemment lorsque jusqu’au Latium résonne la promesse. Il me dit « Ascagne, mon fils et ma faiblesse, n’oublie jamais Ilion et reste son héros », et m’entraînant au port, récite les échos qu’il entendit jadis. Il n’oubliera jamais. Moi, seul, je l’observe mais ses yeux sont fermés, déjà il ne voit plus et ce n’est plus Énée, son âme a survolé la Méditerranée, elle a fui l’Italie et dépassé les mers, seule au-dessus de Troie elle prie les Enfers de lui donner à voir le spectre d’Andromaque et sans cesse implorant et revivant l'attaque, il cherche en son esprit les pieux mots du serment et n'aperçoit jamais les cieux du firmament. Ma jeunesse, l'amour, mes craintes, ma hardiesse m'empêchent de sentir le cœur de la promesse, ce qui fait de mon roi un homme qu'on dit fort grave, silencieux, las, mais dont je sais l'effort, un homme droit et pieux, un père de légende mais à demi mortel et dont la peine est grande.

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